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Connaissance a déséquilibrés, nous le savons, qu’en dessous, c’est le vide, le vide auquel il faut toujours logiquement et inexorablement aboutir, le vide qui est souverain de tout, le vide où tout tombe et où vertigineusement nous tombons sans espoir d’arrêt. Et, à certaines heures, si l’on s’y appesantit, cela |devient presque une angoisse de se dire que jamais, jamais, ni nous-mêmes, ni nos restes, ni notre finale poussière, nous ne pourrons reposer en paix sur quelque chose de stable, parce que la stabilité n’existe nulle part et que nous sommes condamnés, après comme pendant la vie, à toujours rouler éperdument dans le vide où il fait noir. S’accélère-t-elle, notre chute, comme c’est la loi pour toutes les autres chutes appréciables à nos sens ? Ou bien est-ce que, à travers les espaces auxquels on tremble de penser, la folle vitesse de notre soleil demeure constante ? Nous n’en savons rien, et n’en pourrons rien savoir jamais, puisqu’il n’existe et ne peut exister nulle part aucun point de repère qui ne soit en plein vertige de mouvement, puisque cette vitesse, qui déjà nous fait peur, nous ne pouvons l’évaluer que d’une façon relative, par rapport à celle d’autres pauvres petites choses, — d’autres soleils, — qui tombent aussi… Et puis, comble d’effroi, tout le cosmos qui, aux yeux d’observateurs insuffisamment avertis, semble admirable par sa ponctualité d’horloge permettant de calculer, des siècles à l’avance, la minute précise d’un passage ou d’une éclipse, ce cosmos n’est au contraire que désordre, tohu-bohu d’astres, chaos insensé, frénésie de heurts et de mutuelles destructions… Dans un étang aux surfaces immobiles, si nous jetons une pierre, nous voyons pendant quelques secondes des cercles concentriques se former, semblables à des orbites de planètes, et se développer et se suivre avec une régularité absolue, jusqu’à épuisement de l’impulsion initiale, ou bien jusqu’à l’instant où une autre pierre lancée viendra brouiller l’harmonie de ces courbes parfaites. Eh bien ! mais il en va de même pour ces exactitudes célestes, devant quoi les non-initiés s’extasient[1] ; pendant quelques milliards d’années, — qui sont comme les secondes du temps éternel, — dans chaque groupe stellaire, à partir de l’instant où la secousse initiale l’a mis en mouvement, tout continuera bien en effet à

  1. Napoléon Ier fut, si je ne me trompe, l’un de ces non-initiés qui citait la régularité des tournoiemens célestes comme preuve de l’existence de Dieu.