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déchaînement de tous les explosifs. La Science perfide nous a conduits au plus terrible tournant de nos destinées. Tout ce qui avait duré avec nous depuis quelques siècles, tout ce qui nous semblait solide pour nous y appuyer, chancelle brusquement par la base, se désagrège ou change. Et l’enseignement matérialiste jette dans nos âmes le désarroi mortel à quoi nous devons ces milliers de fous et cette croissante criminalité de l’enfance, signe que la fin est proche… Ce que je viens de dire, je n’ai, bien entendu, aucune prétention que ce soit un peu nouveau ; rien, je l’accorde, n’est plus pitoyablement ressassé. Du reste, tout est ressassé sur la terre. Si j’ai essayé de répéter tout cela à ma façon, pour le faire peut-être mieux entendre de mes frères intellectuels, simples comme moi, et pour en aviver chez eux l’épouvante, c’est dans le but de leur communiquer, après, des réflexions, — oh ! bien simplistes et à notre portée, — mais qui pourront peut-être leur procurer, ainsi qu’à moi-même, quelque apaisement…

(Simple, oui, je ne suis qu’un simple, que des engrenages ont emporté, et qui a manqué sa vie ; je n’étais pas ne pour m’éparpiller sur toute la terre, m’asseoir au foyer de tous les peuples, me prosterner dans les mosquées de l’Islam, mais pour rester, plus ignorant encore que je ne suis, dans ma province natale, dans mon île d’Oléron, dans la vieille demeure au porche badigeonné de chaux blanche, près du petit temple huguenot où j’ai prié, enfant, avec une telle ferveur, — très humble petit temple que, du fond des lointains de l’Afrique ou de l’Asie, j’ai plus d’une fois revu en rêve, dans la rue d’un village désuet, à côté de certain mur de jardin que dépasse la verdure sombre de grands oliviers…)

Ce que je voudrais leur dire, à mes frères inconnus, c’est que, plus le vertige et le chancellement nous entourent et nous affolent, plus il faudrait s’efforcer d’établir au contraire dans nos âmes la paix et la stabilité. Ce conseil, oh ! tout le monde aurait su le donner, je suis le premier à le reconnaître ; mais personne, plus que moi jadis, n’a douté qu’il fût possible de le suivre. Cependant, je m’y rallie de plus en plus aujourd’hui ; plus que jamais, je crois que la paix intime peut à la rigueur se retrouver, non pas seulement par résignation détachée, mais aussi, qui sait, par espoir d’autre chose, pour ailleurs, pour plus tard…