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demander si cette manœuvre n’est pas inspirée par une leçon que leurs théoriciens vantent avec emphase, la manœuvre de Frédéric II à Leuthen, quand il fait glisser une de ses ailes derrière un rideau de troupes contenant l’ennemi et la fait déboucher à droite quand on la croyait encore à gauche.

Von Hausen reçoit donc cette mission. Il se hâte, il accourt. Il est le 21 entre Sovet et Mont-Gauthier ; le 22, sa gauche (XIXe corps) marche pendant vingt-cinq heures ; et, le 23, tandis que son corps de droite (XIIe corps) passe la Meuse à Dinant, son corps de gauche (XIXe) arrive à bout de souffle et s’immobilise toujours, du 23 au 25, autour de Fumay.

La 5e armée française, après la bataille dite de Charleroi, est en retraite, ayant sa droite à la Meuse, et elle est exposée aux coups d’un ennemi débouchant de la rivière. Que l’armée von Hausen écrase le 1er corps qui longe la Meuse du Nord au Sud, notre cinquième armée est coupée. Von Hausen dispose de trois corps d’armée et de la cavalerie de la Garde ; il est maître des ponts que la division Bouttegourd et la 52e division de réserve gardent péniblement. Il n’a qu’à passer. Or, il ne passe pas. Sa menace reste à l’état de menace. Elle suffit pour avertir le général Lanrezac qui précipite sa retraite. Mais elle ne se transforme pas en une action décisive. Pourquoi ?

Il faut tenir compte de la résistance des troupes françaises échelonnées le long de la Meuse. La 32e division de réserve (général Coquet) avait à peine franchi la Meuse lorsque les premières colonnes de von Hausen débouchèrent le 23 et le 24. Elle put tenir tête à l’abri de la rivière. Il y eut quelques beaux faits d’armes, notamment celui des « Cinq cents Bonniers » que raconte H. Libermann[1]. Ces têtes de colonne furent bousculées par un bataillon de chasseurs qui accompagnait la division. Cela donna peut-être à réfléchir aux Allemands. Libermann rapporte que, le 25, il rencontra, au Mesnil, le général Pétain (1er corps, 5e armée), la veille encore colonel, et que celui-ci lui dit : « Vous m’avez tiré une rude épine du pied ; car je n’envisageais pas sans inquiétude une action sur mon flanc avant d’atteindre Rocroy. » Pétain est un homme qui sait le prix des mots. S’il le dit, il faut l’en croire.

On doit tenir compte aussi de l’état d’épuisement où,

  1. H. Libermann. Ce qu’a vu un officier de chasseurs à pied. Plon, in-12, n. 38.