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La classe agricole, en effet, constitue le fond de la population russe : 140 millions dames sur 180 ; et l’on pourrait croire que, toute de vente au dehors des blés, dont il avait été exporté 109 millions de quintaux en 1913, 55 millions en 1914 et seulement 5 millions en 1915, les prix des céréales dont la Russie se verrait encombrée auraient fortement baissé sur le marché intérieur. Ils ont au contraire beaucoup haussé : le blé de 54 pour 100, le seigle de 45 pour 100, l’orge de 37 pour 100 et l’avoine, plus que tous les autres, de 62 pour 100. Les causes de cette contradiction apparente sont multiples ; la baisse du change sur le rouble a pour effet de majorer les prix exprimés en roubles et en kopecks : si l’on comptait le rouble au pair de 2 fr. 66 centimes, le blé coûterait actuellement en Russie aussi cher qu’en France — 2 roubles et 2 roubles 20 le poud, c’est-à-dire 33 et 36 francs le quintal — mais le rouble ayant baissé de 30 pour 100, c’est autant de moins à payer pour un acheteur étranger et la même observation s’applique à tous les articles d’exportation.

Les emblavemens aussi ont été réduits de 11 pour 100 en moyenne pour tout l’empire, — 82 millions de déciatines au lieu de 91, — d’après les renseignemens fournis à la Douma. Dans les régions peu riches en main-d’œuvre, telles que le Volga méridional, la Petite-Russie, l’avant-Caucase et la Sibérie de l’Ouest, la diminution a été de 22 pour 100. Les récoltes ont décru à proportion et les frais de culture ont augmenté avec les salaires. La spéculation y a joué son rôle, cette spéculation collective, invisible et légitime, qui incite les vendeurs, en cas de hausse, à se réserver et à attendre. Or, le moujik, plus à l’aise depuis la suppression de la vodka, est moins pressé de réaliser son grain.

L’abolition de l’alcool à cette autre conséquence d’augmenter la consommation de la viande, dont le prix s’est élevé de 42 pour 100. La Russie, bien que son cheptel fût en voie d’accroissement rapide, était pauvre encore en bétail : sur les 52 millions et demi de bêtes à cornes qu’elle possédait, — Sibérie comprise, — 4 millions ont été perdues dans la Pologne envahie, les unes tombées au pouvoir de l’ennemi, les autres mortes pendant l’évacuation. A la consommation de la population civile qui fut de 9 millions de têtes s’ajouta celle de l’armée, — 5 millions, — si bien que l’espèce bovine, malgré les