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joie discrète et douce, dans la maison où ils sont entourés de tous les soins matériels et de toutes les sollicitudes morales.

L’hôtel Thiers n’est pas le seul domaine que l’Institut ait organisé pour le service des blessés ou des autres victimes de la guerre. L’Académie des Sciences possède à Hendaye un observatoire, installé dans le château légué par M. d’Abbadie. M. l’abbé Verschaffel, directeur de cet établissement, a hospitalisé de pauvres petits orphelins belges[1].


L’invasion de l’ennemi a malheureusement interrompu le fonctionnement de l’ambulance que l’Institut avait installée à Chantilly et confiée à M. Vicaire. C’est un tragique épisode que les renseignemens les plus sûrs vont nous permettre de retracer.

Lorsque, dans la matinée du jeudi 3 septembre 1914, à neuf heures, les Prussiens du 27e régiment d’infanterie de réserve entrèrent dans Chantilly et débouchèrent sur la pelouse par la porte Saint-Denis, deux des conservateurs élus par l’Institut pour administrer le musée Condé étaient absens. L’un, M. Alfred Mézières, de l’Académie française, était resté, malgré l’invasion, dans sa maison lorraine de Rehon, en Meurthe-et-Moselle, à quarante kilomètres de Briey : otage des Allemands, le vénérable doyen de l’Académie française est mort là-bas, à l’âge de quatre-vingt-neuf ans, au milieu de nos ennemis ; l’autre conservateur, M. Georges Lafenestre, de l’Académie des Beaux-Arts, avait voulu rester, malgré l’état d’une santé précaire : l’affectueuse insistance de son confrère, M. Élie Berger, et du conservateur adjoint, M. Gustave Maçon, eut raison de son courage, et le décida enfin à quitter le pavillon d’Enghien, mais seulement lorsqu’il eut veillé aux mesures de précaution prescrites par la Commission administrative centrale en ce qui concernait les œuvres d’art, les manuscrits et les objets les plus précieux des collections du musée Condé.

M. Élie Berger s’étant porté, avec beaucoup de sang-froid, à la rencontre des ennemis, ceux-ci se firent ouvrir la grille. Un capitaine, ayant constaté que l’honorable conservateur connaissait la langue allemande, déclara, en cette langue, que « si un seul coup de fusil était tiré, le château serait brûlé et le personnel fusillé[2]. » On n’ignorait pas à Chantilly que, la

  1. Un des meilleurs astronomes de cet observatoire, M. Jean Sorreguieta, est mort au champ d’honneur. (Rapport de M Darboux, 1915.)
  2. Le Musée Condé en 1914, rapport lu par M. Élie Berger à la première assem blée trimestrielle de 1915, tenue par l’Institut, (publié dans le Journal des Savans, janvier 1915).