Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 37.djvu/923

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’ai profité, écrit un chef, de quelques heures de liberté pour aller visiter le champ de bataille du bois de…, à l’est de B… J’ai eu là le spectacle le plus émouvant de ma vie ; les morts ne se comptent plus, mais on oublie que ce sont des cadavres pourvoir la haute leçon qui se dégage de ce spectacle. J’y ai envoyé mes officiers en pèlerinage, on y puise des trésors d’énergie. Ils sont plus de six cents couchés à leur place de bataille, dans les positions où les a surpris la mort ; une section en marche baïonnette au canon, une section à genoux utilisant son feu ; derrière ou devant, les officiers à leur place ; pas un officier ou un homme n’est tourné en arrière. Presque tous ont une alliance ; ce sont des réservistes. Il y a des parties de la ligne où la régularité des intervalles (un pas) est impressionnante…


Ces hommes qui savent si bien voir et si bien décrire, quel est leur état moral ? quels sentimens ou quelles idées les heures tragiques qu’ils vivent ont-elles développés ou même fait naître en eux ? À cet égard, leurs lettres nous renseignent avec une rare précision.

Ce qui domine dans ces lettres, quels que soient le grade, l’éducation, la situation sociale de ceux qui les écrivent, c’est l’esprit d’héroïsme et de sacrifice, c’est l’idée qu’ils luttent, et qu’ils vont peut-être mourir pour une grande cause, pour une cause qui dépasse même leur patrie commune, et qui intéresse l’avenir de l’humanité. Ouvriers, paysans, petits bourgeois, fonctionnaires ou mondains, leur foi est identique et s’exprime dans des termes presque semblables. Voici un simple cuisinier, Georges Belaud, qui, écrivant à sa femme, la veille d’une attaque où il succomba, lui tient ce noble langage, que ses incorrections et ses négligences mêmes rendent peut-être plus touchant encore :


Si, par hasard, il m’arrivait quelque chose, car après tout nous sommes en guerre et, ma foi, nous risquons quelque chose, eh bien ! j’espère que tu seras courageuse, et sache bien, si je meurs, je mets toute ma confiance en toi, et je te demande de vivre pour élever mon fils en homme, en homme de cœur, et donne-lui une instruction assez forte et selon les moyens dont tu disposeras. Et surtout, tu lui diras, quand il sera grand, que son père est mort pour lui, ou tout au moins pour une cause qui doit lui servir à lui et à toutes les générations à venir


Cet autre est un instituteur, lieutenant de réserve, du nom de Malavieille ; avant un assaut qui lui sera fatal, il écrit :


Le général est venu ce matin. Il a parlé à nos hommes. Contre toute