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discipline, nos soldats l’ont acclamé : « Bravo ! mon général ! Nous les aurons, mon général ! Vous pouvez compter sur nous ! » Le général, les yeux mouillés, est parti en balbutiant : « Au revoir, mes enfans ! Merci, mes enfans ! » J’avais les larmes aux yeux. Oh ! c’était grand, c’était beau ! Et je crois qu’il sera content de nous, le général… Nos hommes, malgré quarante jours bientôt de grandes fatigues, ont un moral superbe… Père, je suis calme, très calme. Avant l’action, je me domine. Je marcherai comme toujours. Si je tombe, tu peux être tranquille : j’aurai eu la mort d’un bon soldat, et vous pourrez tous penser à moi, l’âme sereine. Si je tombe, je tomberai face à eux, sans plainte, en pleine conscience de ma force, de ma lucidité d’esprit, de ma volonté. La guerre que nous faisons vaut bien que l’on meure ainsi.


N’ai-je pas déjà cité l’admirable lettre d’un jeune savant, Jean Chatanay, à sa femme ? On en a lu d’autres aussi belles, ici même, de Pierre-Maurice Masson. On pourrait multiplier les exemples. Tous ces braves ont le même langage, comme ils ont la même âme.

Cette âme, beaucoup d’entre eux l’ignoraient il y a trois ans : c’est la guerre qui la leur a révélée à eux-mêmes. Après avoir raconté, très simplement, à sa femme, ses derniers exploits, s’étonnant lui-même de « ce beau courage qu’il ne se connaissait pas, » un caporal réserviste, petit employé d’un grand magasin de nouveautés, ajoute :


Mais oui, tu vois comme je suis changé… Oui, c’est moi qui suis enfin moi-même ; il a fallu cette épreuve pour qu’à chaque instant je trouve un plaisir indicible à prononcer ton nom, pour qu’à chaque moment périlleux où la vie ne tient qu’à un fil, où l’on entend aux oreilles le sifflement des balles, ton nom me monte aux lèvres et ton image à l’esprit…


La guerre a réveillé les instincts guerriers de la race, et les plus pacifiques deviennent d’étonnans soldats. Un tout jeune ouvrier, nommé caporal sur le champ de bataille, écrit à ses anciens « patrons : »


Si je suis blessé, je ne l’ai pas volé, car je me suis fait sentir aux Boches, ou plutôt je leur ai fait sentir ma baïonnette qu’ils craignaient tant. J’ai échappé souvent à leurs baïonnettes plates, bien tranchantes. Quatre coups ont traversé ma capote ; vingt-deux balles ont traversé mes effets, pantalon, capote ; j’ai reçu quatre balles dans mes galons. Vous voyez si j’étais près d’y passer. Je reviens de loin. Les majors ont été bien épatés en voyant mes effets : aussi le général commandant la place de Bourgoin est venu les voir aussi et il m’a embrassé comme mon père…


Au moment de la mort, leur courage ne les abandonne pas plus que leur délicatesse et leur ardeur patriotique. Voici le dernier billet d’un jeune instituteur :