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Je n’ai pas le temps d’écrire plus long. Je suis un peu énervé, mais très bien, et content et joyeux de votre joie. Que ce cher père soit heureux ! J’ai bien pensé à lui aussi, là-haut, au grand moment de l’attaque. J’avais assez de chances de disparaître. Images douces et brèves, vos traits et vos noms étaient en mon cœur durant ma dernière prière là-haut ! là-haut C’était solennel et doux, et comme toujours j’ai été protégé, béni ! Merci, mon Dieu ! Merci à vos tendresses, à vos prières, à votre amour qui me rendent si fort, si calme.


Je ne sais rien de plus jeune, de plus frais, de plus généreux, de plus pur. Une pareille lettre fait autant d’honneur à la famille qui l’a reçue qu’à celui qui l’a écrite, et nous ne nous inclinerons jamais trop bas devant la longue lignée de traditions, d’obscurs dévouemens, de secrètes vertus dont ce jeune héros est l’aboutissement et le témoignage. Et comme il témoigne aussi pour la génération dont il fait partie ! Il a pu m’arriver, je l’avoue, avant la guerre, de sourire un peu des « jeunes gens d’aujourd’hui, » de leurs naïfs enthousiasmes, de leurs illusoires découvertes, de leurs intrépides assurances ; et je les attendais à l’action. L’heure de l’action est venue plus tôt que nous ne pensions tous, et elle les a trouvés égaux, et peut-être supérieurs à leurs rêves. Certes, les grands devoirs qui se sont imposés à eux dès leur entrée dans la vie, j’espère bien que nous les aurions acceptés et remplis d’une âme aussi virile, si la destinée, il y a un quart de siècle, nous avait proposé le même pari tragique, et je n’ignore pas que ceux qui les entraînent, et leur donnent l’exemple, leurs officiers, leurs grands chefs, ne sont pas précisément leurs contemporains. Mais enfin, jamais, dans aucun temps, ni aucun pays, jeunesse n’a couru à la mort, à la gloire, avec un élan plus joyeux, avec un esprit de sacrifice plus résolu et plus unanime, et quand on songe à tant de jeunes vies déjà fauchées dans leur fleur, on ne peut se défendre à leur égard d’un sentiment de respectueuse et poignante admiration.

Mais ils ne veulent pas qu’on les plaigne :


Tu me dis, écrit l’un d’eux à son père, que notre génération est une génération belle et forte. C’est vrai, mais ce qui est plus vrai encore, c’est que, comme je l’écrivais à mon frère, le jour où il a signé son engagement, nous sommes la génération privilégiée. Nous sommes ceux à qui il est permis d’espérer, si nous en revenons, de pouvoir bâtir à l’abri de l’ouragan, ceux qui pourront vivre sans avoir le terrible souci de réveils sanglans. Nous sommes ceux qui, pouvant respirer librement, seront