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chargé de parler au parterre pour lui annoncer les changemens ou implorer son indulgence, et parfois pour calmer ses susceptibilités, car les orages étaient fréquens parmi les spectateurs.

Il fut aussi lecteur pour les pièces présentées. Il lisait admirablement, faisant valoir tous les effets, par une sorte d’instinct, et sans avoir pris à l’avance connaissance des ouvrages. S’il en était ainsi pour les œuvres d’autrui, on juge de ce qu’il en fut des siennes quand il lui prit fantaisie d’être auteur. Une anecdote, qui date de cette époque, le montre un jour au château de Versailles, lisant à Louis XIV une de ses comédies. « Dancourt, lui dit le Roi, vous m’avez fait plaisir, vous communiquez parfaitement à l’auditeur vos intentions et vos idées. — Sire, repartit Dancourt, j’ai l’honneur d’être avocat. — Eh ! bien, vous plaidez parfaitement vos ouvrages. » Il faisait mieux que lire, il improvisait au besoin. Un auteur amateur, un hobereau du nom de Marcoult, le pria certain jour de lire une pièce de sa façon aux comédiens du Roi. Dancourt feuilleta le manuscrit, puis il entama la lecture ; l’auteur, presque à chaque scène, marquait une vive surprise : il ne reconnaissait pas son texte. La pièce reçue, les comédiens exprimèrent à Dancourt le plaisir qu’ils avaient pris aux mots plaisans dont elle était remplie : « Je crois bien, la pièce est de moi, » répondit-il sans modestie. Il l’avait, en effet, au cours de la lecture, refaite à peu près en entier. Il lui arriva plus d’une fois de renouveler ce tour de force.

Son vrai titre, toutefois, à l’attention de la postérité, n’est pas dans ces divers talens, qui meurent avec qui les possède. C’est comme auteur comique que le nom de Dancourt est digne de mémoire. Auteur, il le fut, à vrai dire, presque aussitôt que comédien. Sa première pièce, le Notaire obligeant, fut jouée en juin 1685, un mois après ses débuts officiels au Théâtre-Français. C’est deux ans plus tard qu’il donnait la première comédie dont le réel succès le classait en bon rang parmi les auteurs du temps, le Chevalier à la mode[1]. Dès lors, il ne s’arrêtera plus. Sa plume féconde fournit tous les théâtres de la capitale. Il joue souvent le soir ce qu’il a terminé la veille. Soixante-dix pièces en l’espace d’une trentaine d’années, c’est le bilan de cette production incessante, dont je n’ai pas à

  1. La première représentation est du 24 octobre 1687.