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considérable, ancien président de la Confédération, ayant commis l’imprudence et l’incorrection de servir d’honnête courtier pour une proposition de paix allemande à la Russie, dénoncée avec indignation par le gouvernement provisoire, va méditer, dans une retraite anticipée, sur ce que peuvent coûter les liaisons dangereuses. Le Conseil fédéral, en son ensemble, a repoussé toute solidarité avec ce maladroit, qui aurait déjà pu se faire prendre, et près de qui M. Grimm n’a peut-être fait que remplacer M. Ritter. Encore, dans quelques cantons, juge-t-on la sanction insuffisante. Meetings et manifestations se succèdent, où l’écusson de l’Empire est criblé de pierres. Constantin fut mal inspiré de s’arrêter, sur ces entrefaites, à Lugano, quels que pussent être les parfums de Germanie qui l’y attiraient. Le soir, comme il faisait un tour sur la Piazza della Riforma (n’aurait-il pas eu droit à la Place de la Révolution ?) il fut reconnu et… acclamé d’une façon significative. Mais qu’on ne s’y trompe pas, et, lui-même, il n’a pas dû s’y tromper. La Suisse a vu passer trop de rois en exil, elle a été hospitalière à trop de grandeurs déchues, elle a accueilli et salué trop de malheurs, pour qu’il ait pu croire que ces rumeurs fussent réellement à son adresse. Non, ce que la foule, moins cruelle que justicière, conspuait en lui, ce n’était pas Le roi de Grèce, c’était le beau-frère de l’Empereur. Tandis que le mark perd, à Bâle, de 50 à 55 pour 100 de sa valeur, M. de Bethmann-Hollweg, par ses avocats social-démocrates, Scheidemann, Ebert et David, fait plaider à Stockholm les circonstances atténuantes, ou même la non-culpabilité. Il n’y a plus personne qui ait « voulu cela. » C’est un signe terrible pour celui qu’on croyait le plus fort, de ne plus être ni le plus respecté, ni, du moins, le plus redouté. Qu’il s’agisse de mesurer les chances de la guerre par l’argent, les armes, ou l’estime, ou la peur, l’Allemagne baisse. Voilà sa cote.

Charles Benoist.
Le Directeur-Gérant.
René Doumic.