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préalable ; et qu’après la bataille, ils ne se ruaient pas sur eux pour éplucher leurs actes et leur faire cruellement expier leur malheur. Même coupables de mauvaise intention, ce qui est rare et ce qui, en pareille matière, implique presque le crime, ils ne les punissaient que doucement, « humainement. » A combien plus forte raison quand un chef, n’avait « péché que par ignorance ! » Non seulement ils ne le punissaient pas, mais ils l’honoraient, et il arrivait même qu’ils allassent jusqu’à le récompenser. Cela non plus n’était pas d’une très exacte justice, mais c’était d’une très fine et très prévoyante politique. Ils avaient moins peur de la faute qui avait été commise que de la faute inverse qui pourrait l’être. Ils se souciaient moins d’atteindre par un châtiment rétrospectif le consul qui sortait de charge que de ne pas terroriser préventivement, de ne pas paralyser ses successeurs par la menace et l’effroi de la peine.

Je sais qu’il y a l’autre école, la jacobine, celle de la Convention, celle des « commissaires aux armées. » On ne veut regarder que les exploits, les succès, que les « grands ancêtres » ont provoqués ; on ne retient que ce qu’ils ont fait faire ; mais le passif l’emporterait peut-être, si l’on tenait compte de ce qu’ils ont empêché. Nous avons eu déjà l’occasion de citer une phrase du duc de Rovigo, qui a écrit, ou à peu près : « Personne n’acceptait plus de commander, personne n’osait plus entreprendre. » C’est le péril que porte en soi la manie délirante de la faute et de la sanction. Rien ne saurait être plus funeste pour une nation engagée dans une lutte à mort, où qui ne sera pas victorieux sera écrasé. Il ne peut pas suffire que la clameur d’une assemblée ou d’un parti exige des têtes pour qu’on les lui livre. Le rôle d’un homme d’État, dans les temps de crise, consiste moins souvent à céder aux entraînemens pseudo-populaires ou parlementaires qu’à leur résister. C’est à quoi, en l’occurrence, nous reconnaîtrons que nous avons un gouvernement.

Tandis que nous sommes en veine de préceptes, nous serions tentés d’ajouter que plus la forme d’un État est mobile, et plus les circonstances de sa vie sont agitées, plus il doit y avoir quelque chose de stable. Le point fixe de l’État, au milieu des vicissitudes de la guerre, lorsque ce n’est pas le gouvernement, ce devrait être le commandement. Or, nous avons déjà changé deux fois de général en chef. L’Allemagne, et, derrière elle, sa coalition, a eu successivement pour chef d’état-major Moltke le neveu et Falkenhayn, avant d’avoir Hindenburg ; mais, depuis qu’elle a, pour lui, réorganisé le commandement, encore qu’il n’ait vraiment pas fait merveille, elle s’est