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ses élémens russes, reconstituée en ses élémens roumains, — a attaqué, dans les vallées du Trotus, de la Susita et de la Putna ; sur une longueur de soixante kilomètres, elle a enfoncé les lignes ennemies d’une vingtaine de kilomètres en profondeur ; mais les événemens qui se sont passés sur le Dniester ralentissent et suspendent sa marche, s’ils ne la mettent en péril.

Sur notre front occidental, les Anglo-Français, ayant mené à bien une préparation d’artillerie telle que cette guerre, qui en avait déjà vu tant, et à pleine puissance, n’en connaissait pas encore d’aussi formidable, se sont ébranlés simultanément, une armée française en liaison, sur sa droite, avec les armées britanniques, sur sa gauche, avec l’armée belge. Une bataille s’est engagée, formidable comme sa préparation même, mais, selon toute probabilité, formidable en durée comme en intensité ; bataille de patience autant que de violence, dans laquelle la tempête du 1er août et les pluies diluviennes qui l’ont suivie n’auront fait que marquer une pause, juste le temps d’organiser le terrain gagné et de faire avancer, par des chemins défoncés, les canons géans. Une bataille aussi décisive qu’aucune bataille puisse l’être dans cette guerre jusqu’ici sans décision où chaque bataille est toute une guerre, c’est bien ainsi que la jugent les Allemands qui la voyaient venir, puisque la seule image en a par avance glacé la joie lyrique, assombri l’éclat oratoire et épistolaire de l’Empereur, dans sa harangue de Tarnopol, dans ses dépêches à Hindenburg et à M. Kaempf, dans ses manifestes commémoratifs à la nation et à l’armée. Les nuées que le vent amasse dans l’Ouest obscurcissent à ses yeux le nouveau soleil qui se levait à l’Orient. Il pense au « bombardement » qui, là-bas, se prolonge, s’accroît sans cesse, se décuple, se multiplie, aux « assauts » qui vont se produire. Il sent, sur sa tête et sur sa langue, le poids « d’un monde d’ennemis. » Où sont les trompettes du triomphe ? Le ton est résigné, le souffle court. Par habitude, automatiquement, dans un soupir beaucoup plus que dans un défi, Guillaume II balbutie encore : « Dieu est avec nous ! » Les deux larrons du Golgotha purent aussi le dire sur leur croix. Mais ils ne ressuscitèrent pas avec Jésus, le troisième jour.

Pour nous, la bataille des Flandres commence bien, et même un peu mieux que bien, mais elle ne fait que commencer, et nous devons savoir, nous ne devons pas oublier que, comme toutes les batailles de cette guerre, elle sera longue et dure. Longue et dure comme cette guerre elle-même, dont la fin seule est sûre. Elle va continuer, avec des intermittences, des péripéties, des contretemps,