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grilleraient de s’attribuer le mérite, fût-il illusoire, et l’avantage, ne fût-il qu’électoral. Le milieu, comme l’instant, était donc propice. Le chancelier a alors lancé son brûlot, tiré son pétard, dernier gaz asphyxiant sorti du laboratoire de la Wilhelmstrasse. Solennellement, comme s’il déposait une pièce capitale dans les archives des siècles, M, Michaëlis a pris le monde à témoin. « Il sera de la plus haute importance pour le monde entier, a-t-il dit aux cinquante reporters qu’il avait convoqués tout exprès, de connaître que des preuves écrites de la convoitise de nos ennemis sont tombées entre nos mains et que nous savons ainsi les vraies raisons de la continuation des sanglans massacres entre les nations. Je veux parler des rapports de témoins oculaires et auriculaires des débats secrets dans la Chambre française des députés, le 1er et le 2 juin. »

Expédions tout de suite une question préjudicielle. A interpréter littéralement l’affirmation de M. Michaëlis, le chancelier allemand aurait entre les mains « des preuves écrites » de nos « convoitises ; » et ces preuves écrites seraient « des rapports » émanant, à un degré quelconque, de « témoins oculaires et auriculaires » du comité secret de la Chambre française. Ce n’est, à coup sûr, un mystère pour personne que des comptes rendus d’un des comités précédens ont couru tout Paris, qu’on en offrait des copies à prix fixe, et que, pour le dernier, celui auquel M. Michaëlis a fait allusion, il en a circulé de café en café des versions, les unes assez fidèles, les autres défigurées. On l’a su. La police l’a su, le gouvernement l’a su, la Chambre des députés l’a su. Qui s’en est ému ? Ou du moins qui a fait quelque chose de plus que si l’on ne s’en émouvait pas ? Et, aujourd’hui que des « rapports » fondés sur ces feuillets clandestins sont arrivés en Allemagne, qu’est-ce que cela prouve ? Non point qu’il y ait quelque part chez nous un traître, mais qu’il y a dans la Chambre beaucoup de bavards, et qu’un secret confié à six cents personnes ne saurait plus être, on s’en doute bien, un secret (l’art des conjurations le bornait strictement à trois, et encore !). Cela prouve, par surcroît, que les comités secrets, qui sont sans secret, ne sont pas sans inconvénient, comme voulut le dire M. le général Lyautey, à qui il en coûta son portefeuille de s’être permis de le supposer.

Mais, sur le fond, sincèrement, sans commettre une indiscrétion que nous reprocherions à d’autres, nous pouvons nous porter garant que, si la chancellerie a payé cher ce prétendu document, elle a été volée. Il a peut-être été dit, en comité secret, les 1er et 2 juin, quelque chose de cela, mais pas cela, et pas comme cela. L’informateur