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très justement, la conception de l’artiste avant tout jaloux de son originalité, prétendant à faire une œuvre qui ne doive rien à ses prédécesseurs non plus qu’à ses contemporains, est une conception toute moderne. L’artiste de jadis, celui de la Renaissance comme celui du moyen âge ou de l’antiquité, est un artisan soucieux de travailler à la manière que lui ont enseignée ses maîtres et suivant les traditions qu’il en a reçues. Il ne cherche pas à se mettre à part, il ne tire pas vanité d’être seul de son espèce : il est de son temps. Un Raphaël, un Titien, prend son bien où il le trouve. « Ayant mieux à faire avec leur génie que d’inventer eux-mêmes des procédés ou des sujets nouveaux, les grands artistes sans cesse empruntent au dehors sujets et procédés, sauf à les transfigurer aussitôt qu’ils y mettent la main. » Le seul objet qu’ils poursuivent, c’est la réalisation de l’idéal qu’ils portent en eux. Comme l’œuvre exécutée leur semble toujours inférieure à celle dont ils rêvaient, ils s’emparent de toute formule nouvelle dont ils espèrent qu’elle les rapprochera de la perfection jamais atteinte. Ainsi ils essayent de nouvelles « manières. » Et c’est le « drame » de leur vie, celui qu’on a coutume de ne pas nous conter.

Une autre idée, chère à Wyzewa, était cette distinction qu’il faisait, dans les arts plastiques eux-mêmes, entre les « prosateurs » et les « poètes. » Distinction facile à sentir, sinon à expliquer. Rembrandt et Franz Hals, Ruysdaël et Hobbema ont traité les mêmes sujets ; mais seuls Ruysdaël et Rembrandt sont des poètes. Mozart est un poète, au contraire d’Haydn, quoiqu’ils se soient servis de la même langue musicale. « Un poète, dans tous les arts, c’est un homme qui, au contact de la réalité, éprouve naturellement des sensations ou des émotions plus belles que l’ordinaire des hommes et dont l’âme possède ainsi, d’instinct, le don d’embellir pour nous la réalité. » C’est pourquoi Wyzewa admire les Florentins, mais il ne les aime pas. Parmi eux, il fait une place à part à Fra Angelico : parce que celui-là a découvert dans le visage humain une pureté de lignes, une profondeur d’expression vivante que nul autre n’a su y lire, et senti, aussi bien que François d’Assise, l’unité mystérieuse de la nature créée, l’universelle harmonie intime des hommes et des choses. À la perfection un peu sèche des Florentins il préfère la douceur touchante des Siennois. L’art des maîtres siennois est à l’image de la ville hospitalière et cordiale