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Lemaître hasarde une attaque nouvelle. Et, très loyalement, il se propose de définir les deux façons de la critique. Celle qu’il n’aime pas, — et il l’admire, de bon cœur, mais il ne l’aime pas, — dit qu’une œuvre est bien conforme aux lois et aux règles du genre : et qu’est-ce, demande-t-il, que les genres littéraires ? Des entités réalisées ; des caprices rédigés. Cette critique impersonnelle refuse la volupté « qui naît du contact plein, naïf et comme abandonné, avec l’œuvre d’art. » Cette critique austère, Lemaître l’accuse d’« une grande superbe intellectuelle. » Et, quant au critique, il lui reproche, — après le lui avoir prêté, — ce mot : « Vous louez toujours ce qui vous plaît ; moi, jamais ! » Il ajoute : « Dur renoncement ! » L’autre critique ? Elle consiste « à définir et expliquer les impressions que nous recevons des œuvres d’art... Et l’on est beaucoup moins sur de ses jugemens que de ses impressions. »

Les deux critiques, les voilà, bien nettement opposées l’une à l’autre, si différentes qu’il paraît impossible de les concilier : l’une détruit l’autre. Puis, les années passent ; Brunetière et Lemaître sont morts : non pas leurs livres. Mais leur querelle ?... Au bout de quelques années, les deux critiques inconciliables, celle qui s’appelait subjective et celle qui s’appelait objective, se sont insensiblement rapprochées. Impersonnels, les jugemens de Brunetière ? et dépourvus de « volupté » ou de « plaisir » ? et l’application presque mécanique des « principes » à des œuvres ?... Lisez Brunetière et dites qui jamais s’amusa mieux des livres. Il les prenait pour amis ou ennemis : et les amis, il les choyait ; les ennemis, il les tarabustait. Que de passion ! Mais peu d’amour ? — Qui aime plus, ou Philinte, ou Alceste ?... Et, si Brunetière a dit : « Vous louez toujours ce qui vous plaît ; moi, jamais ! » — je veux qu’il l’ait dit, — ne doutez plus de son allégresse. Mais la critique lui devenait une esthétique et une éthique ?... Une esthétique : naturellement ; et quelle esthétique ? la sienne. Puis une éthique ; et c’est-à-dire qu’un livre lui était une chose vivante. Vivre, c’est, qu’on le veuille ou non, pratiquer une morale, raisonnable ou non ; c’est aussi manquer à cette morale : et c’est enfin nous offenser ou non. Le livre, Brunetière le traitait comme fautif ou non vis-à-vis du lecteur ; et vis-à-vis de lui, son lecteur. Impersonnel, Brunetière ?... A vrai dire, je ne sais pas ce qu’il restera de ses doctrines, et de l’évolution des genres. Mais, à la distance où nous sommes de lui et de son œuvre, si l’on s’inquiète de savoir ce qu’il reste de lui et de son œuvre, n’en doutez pas, c’est lui.