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pas en cause, sont proclamés libres et indépendans ; les bolchevikis s’engagent à les respecter, et l’Allemagne s’applaudit sans doute d’avoir pu, par là, commencer à punir l’Angleterre. Le reste du traité est secondaire ; notons pourtant encore que les prisonniers de guerre seront restitués de part et d’autre ; en ce qui concerne les indemnités, il n’y en aura, de part et d’autre, ni pour frais de guerre ni pour dommages de guerre, résultat de mesures militaires ou de réquisitions en pays ennemi. Le Soviet n’en voulait pas : la Russie est bien sûre de n’en pas recevoir ; mais elle paiera la nourriture de ses prisonniers. — Telle est cette paix, s’il est permis, au revers d’un tel document, d’écrire ce mot profané, sali désormais d’une souillure qui fera époque, et tache, dans l’histoire.

Paix anti-russe, puisque le Soviet, au nom de la Russie qui ne s’est pas révoltée et ne l’a pas rejetée, démembre du Nord au Sud le territoire national. Paix anti-révolutionnaire, puisque Lénine et Trotsky démobilisent les gardes rouges comme l’armée régulière, jurent de cesser désormais toute propagande contre les gouvernemens ennemis, leurs institutions, leurs armées. Et, naturellement, nous entendons sans qu’on nous le crie, ce qui se murmure à Pétrograd : « Chiffon de papier ! » Point de mandat, point de consentement. C’est ce que va confirmer ou démentir le Congrès des Soviets qui se réunit le 12 à Moscou, en vue d’une ratification pour laquelle a été stipulé un délai de deux semaines ; ratification à apporter par un organe d’ailleurs inexistant et non prévu. Il y aurait bien la Constituante, mais — quoiqu’en majorité socialiste, c’est une assemblée de « bourgeois, » pour Lénine et Trotsky qui ne sont pas sûrs d’elle. Et puis, toute ratification à part, pourquoi les maximalistes, qui n’ont pas trouvé de couleur au drapeau allemand ni d’odeur à l’argent allemand, qui ont montré, de toutes choses crues, vécues et vénérées, un dédain si transcendantal, pourquoi attacheraient-ils une valeur à un texte allemand ? Pourquoi se gêneraient-ils de renier leur signature, eux qui ne se sont pas fait scrupule de nier la patrie ? Dans tous les cas, si le prétendu traité du 3 mars n’est point un chiffon de papier pour eux, il est évident que c’en est un pour nous ; que l’Entente, il faut le redire, « tient pour nulles ces paix séparées, que tout se réglera, mais ne se réglera définitivement qu’à la fin. » La félonie consommée, les ambassades des Puissances alliées ont quitté Pétrograd. Quel motif auraient-elles eu d’y rester ? Écouter les flatteries que le Soviet n’a pas cessé de prodiguer au « prolétariat allemand, » de qui il espère toujours le salut, et les outrages qu’il déverse infatigablement