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cosaques qui harcelaient les débris de la grande armée ; leur galop ne les emportait pas toujours, il les ramenait quelquefois. Les bolchevikis, quant à eux, n’ont jusqu’ici su faire que deux choses : s’étaler et détaler. Chassés de la Russie d’Europe par les Allemands, essaieraient-ils de fonder en Sibérie l’asile de la Révolution et la patrie du socialisme ?

Ils risqueraient, eux et les Allemands à leur suite, d’y rencontrer les Japonais. À la vérité, l’intervention japonaise est encore à l’état de projet : toutes les objections, de la part de l’une ou de l’autre puissance alliée, toutes les hésitations du Japon lui-même ne sont peut-être pas levées. Mais que pèsent-elles, en regard de la fatalité ? Il ne se peut pas que le Japon, et sans doute la Chine, pour peu qu’une action d’ensemble y soit possible, ne ferment pas les portes et ne barrent pas les routes de l’Extrême-Orient ; parce que, pour le Japon, les laisser ouvertes, ce serait se laisser enfermer, et, pour la Chine, les ouvrir, ce serait s’ouvrir trop. En ce qui nous concerne, après nous être forgé une fausse Russie, ne nous forgeons pas un Japon chimérique : sachons borner et nos vues et nos vœux. L’intervention attendue sera sans doute, à son début, du moins, et tant que les événemens n’en forceront pas les conséquences, limitée à l’occupation de Vladivostok et de la tête de ligne du Transsibérien. Mais, même dans ce cadre restreint, elle est hautement souhaitable, et elle paraît inévitable. Si nous ne devons pas nous bercer d’illusions, nous ne devons pas non plus nous frapper de phobies qui paralyseraient l’un quelconque de nos moyens. Que craindrait-on ? Le spectre du Péril Jaune ? Nous verrons demain ou après demain, s’il y a quelque chose à voir. Aujourd’hui, on ne voit que le Péril « boche. » Mais quoi ! Le Japon pourrait être tenté de s’installer sur la côte de la Province-Maritime, mettre le pied sur le continent asiatique, et l’y avancer même un peu ? Vaudrait-il mieux permettre de s’y installer, soit directement à l’Allemagne, soit à une Russie germanisée, c’est-à-dire encore à l’Empire allemand sous le masque, par interposition de personnes ? —

À cette hypothèse, les Allemands haussent les épaules et plaisantent. « Parce que nous sommes sur la Narva, on nous aperçoit déjà sur l’Amour ! » Mais déjà ils sont sur le golfe de Bothnie ; à travers la Finlande, ils s’étirent vers l’Océan glacial ; par l’Autriche-Hongrie, ils sont sur l’Adriatique ; par la Bulgarie, sur la Mer-Noire ; par la Turquie, ils vont, un de ces jours, s’efforcer de regagner le golfe d’Oman et l’océan Indien. Un retour offensif contre Salonique,