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rester de troupes au Valentinois. Pour cela, ils s’engageaient à mettre sur pied une arme’e de sept cents hommes d’armes et de neuf mille fantassins. Ils comptaient vaguement sur le concours de Florence et de Venise : en tout cas, ils le leur demandaient. Ils demeuraient ou tâchaient de demeurer amis de la France et s’interdisaient toute expédition ou allianco qui pût paraître à Louis XII un acte d’hostilité. En un mot, le complot de la Magione était une affaire purement personnelle entre eux et César.

Sur ces entrefaites, le 7 octobre, Guidobaldo recevait une joyeuse nouvelle : San Léo venait de se soulever et arborait l’aigle des Montefeltro. Voici ce qui s’était passé. César, toujours méfiant à l’égard des populations conquises et précautionneux à l’extrême, tout en faisant dire au dehors que les Feltriens s’accommodaient fort bien de son régime, agissait comme s’ils ne s’en accommodaient pas et fortifiait les défenses de ses citadelles. Ainsi faisait-on, à San Leo, des travau. qui nécessitaient l’emploi de nombreux ouvriers et de matériaux considérables. Parmi les ingénieurs était un certain Andrea, homme dévoué à Brizio l’ancien page et écuyer du duc Federigo. Le 5 octobre, comme il introduisait par le pont-levis un convoi de grosses poutres, il s’arrangea pour les faire verser, de façon à bloquer momentanément la porte. Au même moment, un groupe de vétérans montefeltriens, vêtus comme des paysans et répandus dans les faubourgs de la ville, par les soins de Brizio et de Lodovico Paltroni d’Urbino, sortirent des maisons et aux cris de : « Feltro ! Feltro ! » se ruèrent sur la citadelle, suivis de la foule ameutée. Voyant venir cette foule, les soldats du poste voulurent fermer la porte. Coincée par les poutres, elle n’obéit pas à la commande. La foule s’engouffra dans le château et l’occupa en un instant. La rocca était envahie avant que ses défenseurs fussent revenus de leur surprise : quelques-uns n’en revinrent que dans l’autre monde.

Les cris de : « Feltro ! Feltro ! Le Duc ! Le Duc ! » auxquels se mêlaient aussi le cri de « Marco I Marco ! » c’est-à-dire le cri de ralliement de Venise, tombèrent du haut de San Leo et se répercutèrent successivement de montagne en montagne. Il y a longtemps qu’on l’a remarqué : nulle part les nouvelles ne se propagent plus vite qu’au désert. Au Nord, jusqu’à Saint-Marin, et à Tavoleto, au Sud jusqu’à Cagli et à Gubbio, la