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qu’il savait déjà : le complot des Confédérés de la Magione, et l’assurer que la République, loin de se joindre à eux, lui offrait son appui. Il était surtout chargé de surveiller ses mouvemens éventuels. À ce moment, on apprit la perte de San Leo. Machiavel épia, sur le visage du Valentinois, l’effet que produirait ce coup. Il en fut pour sa curiosité. L’autre ne broncha pas : on eût dit qu’il avait perdu une paire de gants ou un drageoir… Un duché de plus ou de moins, belle affaire ! D’ailleurs, qu’était-ce qu’Urbino ? « Un État faible, sans défense, » sur lequel il comptait peu. Enfin, il ne s’en inquiétait nullement, « n’ayant pas oublié le moyen de le reconquérir, s’il venait à lui être enlevé. »

Tout cela n’était que façade. Au fond, le duché d’Urbino était la pierre d’achoppement où il sentait, vaguement, pour la première fois, sa fortune se heurter, d’abord parce que c’était là où le Droit était le plus outrageusement violé, ensuite parce qu’il y avait, là, une force populaire qui agissait dans le même sens que le Droit. Pour mater cette force, il fallait des troupes, et précisément la défection de la Magione lui enlevait une bonne part de son armée et même la retournait contre lui. L’instant était critique. Au début, il put croire que les actes des Confédérés ne suivraient pas leurs résolutions. Ses capitaines espagnols et les troupes directement sous ses ordres lui restaient fidèles, et, lorsqu’elles incendièrent et saccagèrent Pergola et Fossombrone, i.l montra un visage épanoui. « Les constellations, cette année, ne semblent pas favorables à ceux qui se révoltent, » dit-il gaiement à Machiavel. Mais quand arriva la nouvelle que les contingens des Orsini et des Vitelli avançaient, décidément, avec ceux de Guidobaldo, et que Guidobaldo lui-même était revenu dans ses États, il s’inquiéta un peu davantage. Enfin, la défaite de ses troupes à Calmazzo, la perte successive de ses châteaux forts au midi, au nord, à l’est, à l’ouest, et de ses alliés partout, lui firent voir que le temps des « galéjades » était passé et qu’il fallait aviser au plus vite.

Il avisa en politique réaliste et décidé. Il ne s’amusa point à vouloir tout retenir, les doigts écartés : il ferma le poing, au contraire, pour frapper plus fort. Il abandonna franchement le duché d’Urbino et tout ce qu’il ne pouvait défendre, et il concentra toutes ses armes sur les points de la Romagne où