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le Nord de Montdidier, les environs de Moreuil, les abords d’Amiens . Ils pourraient bien avoir des réserves dans ces parages, ou y amener ce qu’ils trouvent à gratter, à racler sur le reste du front ou à l’intérieur, débris de classes trop jeunes ou trop vieilles, fonds de tiroir austro-hongrois, bulgares ou turcs, dernières épaves de leurs armées de Russie, suprême épargne de leurs placemens bolchevikis. Tout cela ensemble, comme quantité ni surtout comme qualité, ne va peut-être plus très haut ; mais non plus, ne le rabaissons pas trop dans nos prévisions. Et n’allons pas nous leurrer de l’idée qu’on l’y rassemble pour l’y garder assis sur les talons, les bras croisés. Le général von Hutier est par là, — le petit-fils anobli en Prusse du Français renégat Hutier, — le perceur de murailles vivantes, l’enfonceur des Lignes de Riga, le manieur de Stosstruppen. Quelqu’un qui a rencontré des prisonniers faits à ces Stosstruppen, à ces « troupes de choc, » dit qu’ils réalisent à la perfection le type du soudard épouvantable à voir, et qu’ils descendent encore, dans l’échelle de l’humanité, de plusieurs degrés au-dessous de ce que Pascal appelait « des trognes armées, » jusqu’à de vraies « têtes de sauvages, » brûlées des flammes les plus impures et obscurcies des fumées les plus grossières. De pareils gaillards, à coup sûr, ne sont pas recrutés dans une élite, même professionnelle et mécanique, qui sans doute fournit simplement les cadres, mais parmi les risque-tout, parmi les enfans perdus ; « perdus » dans tous les sens du mot, et que par conséquent il n’y a pas de perte à perdre. Quel plaisir, quel orgueil on ressent à dresser en face d’eux la robuste et saine figure du soldat britannique, la fine et ardente silhouette du soldat français, qui est esprit, autant que muscles et nerfs, qui est une âme, à qui il suffit de jeter à la volée une de ces phrases où vit une âme supérieure, comme celle du général commandant le corps d’armée que nous regrettons tant de ne pouvoir désigner plus clairement ! « Les troupes du... C.A. et du... C.C. défendent le cœur de la France. Le sentiment de la grandeur de cette tâche leur montrera leur devoir. » Il a suffi de cet éclair. Le cœur de la France s’est mêlé à ces milliers de cœurs de Français, les a exaltés, les a dilatés. Et du coup, ils ont surpassé ce qui paraissait ne pouvoir pas être égalé, la Marne, l’Yser et Verdun.

Mais ce ne sont pas seulement nos « poilus » et leurs généraux qui méritent nos éloges et notre reconnaissance. Il nous est agréable de dire que c’est aussi notre gouvernement, et que ce sont aussi les gouvernemens alliés. Le lundi 25 mars s’est produit, pour l’Entente,