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ment l’explication la plus simple et la plus élégante des faits connus, à laquelle on ait encore pensé. « Une théorie physique, a-t-il dit, n’est pas une explication. C’est un système de propositions mathématiques déduites d’un petit nombre de principes, qui ont pour but de représenter aussi simplement, aussi complètement et aussi exactement que possible un ensemble de lois expérimentales… » Cependant, comme métaphysicien, il nous apparaît moins sévère et plus disposé à admettre sans restriction les « vérités de bon sens » qui sont, suivant lui, à la base de toute connaissance humaine, aussi bien quand il s’agit d’affirmer les principes élémentaires de la géométrie ou de la mécanique que lorsqu’on met en cause la distinction de l’âme et du corps ou le libre arbitre. C’est que, dans le second cas, il a un guide assuré et peut marcher hardiment.

Insistons-y aussitôt, puisque lui-même nous y a autorisés tout à l’heure et montrons quelle place spéciale assure à Duhem, parmi les savans modernes, son attitude scientifique à l’égard de la métaphysique. Les savants ont, ce nous semble, trois manières principales d’envisager ce qui, dans la nature, dépasse le domaine purement expérimental pour aborder les principes et les causes.

Les uns, très nombreux, méprisent la métaphysique comme un tissu d’hypothèses invérifiables et de rêveries inutiles. Ils ignorent, oublient ou négligent les causes premières et se contentent systématiquement d’apprécier les rapports entre des effets, avec la prétention fréquente que leurs essais de coordination ont à jamais éclairci le mécanisme du monde. C’est une école de ce genre qui, il y a un demi-siècle, s’est imaginé un instant, aux applaudissemens des littérateurs, que tout pouvait s’expliquer, que tout serait bientôt expliqué par de la dynamique et de la chimie. Ceux qui rejettent ainsi la métaphysique par positivisme sont, à leur manière, des hommes de foi, des mystiques. Ils ne se demandent pas si l’emprise de nos sens sur le monde extérieur, qui est le seul fondement de leur doctrine, possède ou non une réalité objective ; ils n’examinent pas si les postulats implicites, qui relient leurs observations entre elles, sont démontrés ou démontrables ; ils ne discutent pas la réalité de leurs conceptions théoriques. Ils croient ; ils sont sûrs ; ils affirment. Avec eux se rangent maints algébristes qui se contentent de dévider leurs formules et leurs abstractions.