Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/385

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur essor : soit en examinant quelques figures de savans comme celles de Nicole Oresme, de Léonard de Vinci, du père Mersenne, de l’Américain Gibbs ; soit en exposant ici même une histoire de l’optique et de lathermo-dynamique[1]. Enfin, depuis la guerre, il s’était attaché, dans de petits livres très vivans sur « la science allemande, » sur « la chimie, science française, » à préciser notre rôle national et celui de nos ennemis dans la découverte scientifique : avec quel esprit de critique intègre, mais aussi avec quelles conclusions, on le devine !

En présence de cette œuvre monumentale, il faut nous résigner à un choix cruel pour donner une idée de dix ou quinze gros volumes en dix pages. Nous pourrions montrer comment Duhem a transformé les idées sur les origines de la mécanique moderne et, ainsi qu’on l’a dit, ajouté un siècle à l’histoire de la science française[2]. Mais, si intéressant qu’il soit de remettre à leur vraie place des savans oubliés, ce n’est pas là ce qui nous touche le plus. Les hommes passent et la science reste.

Nous allons donc nous placer à un autre point de vue, qui, ce nous semble, a été surtout celui de Duhem, en cherchant de préférence, dans l’exposé historique de la science, une compréhension plus claire du but qu’elle a visé, du chemin qu’elle a suivi pour l’atteindre, des obstacles auxquels elle s’est heurtée, des bifurcations où elle s’est trompée de route et tirant par suite, du passé, un enseignement pour l’avenir. Duhem a écrit cette phrase : « Quels sont les principes qui doivent nous guider dans la revision des notions sur lesquelles reposent les théories physiques ? Une étude attentive des lois qui, depuis près de trois siècles, régissent l’évolution de ces théories nous permettrait peut-être d’entrevoir les règles qu’il faut suivre pour en achever la réforme. » Si l’on veut avoir chance de réussir dans une telle investigation, il faut l’aborder avec sympathie et avec un retour modeste sur soi-même, sans rester effarouché chaque fois qu’on rencontre la pensée humaine sous un costume étrange ou passé de mode et sans se borner alors à s’écrier : « Comment peut-on être Chinois ? » Il faut bien se rendre compte que, si de grands esprits ont émis avec conviction des affirmations où nous ne voyons que non-sens, ou s’ils ont

  1. T. CXXIII, 1894 p. 94 ; T. CXXIX, 1895 p. 869 ; T. CXXX, 1895 p. 380.
  2. Cette partie de notre sujet s’est trouvée traitée ici par M. Albert Dufourcq, 15 Juillet 1913.