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trop bien leurs abstractions, avec trop de rigueur, ainsi qu’il arrive parfois aux mathématiciens égarés dans l’économie politique ou sociale. Comme leur fond d’expériences était imparfait, ils partaient en physique de prémisses fausses et ils en tiraient alors les conclusions les plus rigoureuses, sans avoir l’idée simple de reprendre contact avec la réalité. C’est un défaut que l’on a pu reprocher plus récemment à la philosophie allemande. Nous allons en retrouver une preuve nouvelle en cherchant le contre-coup de l’astrologie sur l’alchimie.

Quelle était la connexion entre les deux sciences, nous l’avons déjà indiqué plus haut. Les circulations des astres errans règlent, disait-on, toute âme incorporée ; à plus forte raison, toute substance corporelle, donc les réactions chimiques de ces corps. C’est ainsi que les alchimistes distinguaient sept métaux correspondant aux sept planètes et partageant leur composition. On a tort de se représenter leur laboratoire comme uniquement consacré à la recherche de la pierre philosophale. Ils faisaient aussi beaucoup de chimie pratique, teintures, sels métalliques, etc…, et, s’ils s’entouraient de tant de mystère, c’était surtout pour ne pas laisser vulgariser leurs recettes ; mais il est certain qu’ils s’attachaient aussi à produire de l’or. À leurs yeux, la forme de l’or était seule parfaite et définitive ; tous les autres métaux étaient en voie vers l’état de l’or comme une chose incomplète vers la perfection ; en sorte qu’il y avait lieu de hâter cette guérison par la pierre philosophale, comme on administre à un malade un remède.

Pour opérer une transmutation, l’alchimiste s’attachait à séparer de l’or sa substance déterminante, son âme, son souffle, son « venin, » son « ios, » pour le transporter sur un autre métal qui deviendrait ainsi de l’or. On sait que les modernes ont repris les recherches de la transmutation, et le hasard fait qu’il suffirait de changer ios en ion pour que la théorie antique reprît presque une tournure actuelle. Tout leur système, dont l’allure bizarre nous surprend comme un professeur à la Faculté des Sciences qui se montrerait sous le bonnet du docteur Faust, apparaît, quand on l’étudié avec un peu de soin, parfaitement cohérent. Une de leurs grosses erreurs, comme nous avons essayé de le montrer jadis[1], était d’appliquer à toutes les qua-

  1. Un alchimisle du XIIIe siècle. Albert le Grand (Revue scientifique, 18 mai 1859).