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en posture bien moins favorable après l’offensive autrichienne en Italie qu’elle n’était avant cette offensive ; en moins bonne posture après la quatrième et la cinquième poussée de l’offensive allemande en France qu’après les trois premières poussées. Et, au surplus, cette guerre où se heurtent, — l’empereur Guillaume le reconnaît à son tour, — deux conceptions opposées du monde, est exorbitante des champs de bataille ordinaires. Nos inquiétudes viennent surtout de ce que nous la fractionnons, et ne la voyons que par secteurs, par compartiments. Nous oublions toujours ou la terre, ou les mers, ou les airs. Nous découpons la Genèse en anecdotes. Si, cessant de les séparer, nous pouvions en rassembler tous les éléments, en ramasser tous les aspects, si nous la mesurions dans le temps autrement que par journées et dans l’espace autrement que par kilomètres, ce qui serait la mettre, et nous mettre à sa mesure, alors, il ne faut pas dire l’espoir, qui ne nous a point, une seconde, abandonnés, ni même la confiance, qui n’a point défailli, mais la foi qui crée ce qu’elle croit, la certitude, principe d’action, monteraient en nous, et nous en serions tout réconfortés.

Sur terre, l’Allemagne est toujours redoutable, mais l’Autriche, la Bulgarie, la Turquie, ne sont plus pour elle que des poids morts qui se font traîner. Elle est expulsée des mers, où désormais des sous-marins détruisent moins que ne construisent les chantiers de l’Entente. Dans les airs, l’aviation franco-britannique domine, et bientôt l’aviation américaine va écraser la sienne. En vain se targue-t-elle de la supériorité de ses effectifs et enfle-t-elle le nombre de ses divisions fraîches. Il n’y a de forces fraîches, à la fin de la quatrième année de guerre, que celles qui ne font que naître. Sur terre, sur mer et dans les airs, se lèvent à nos côtés, la puissance toute neuve, l’ardente énergie des Etats-Unis. Ainsi garder le temps, c’est vraiment conquérir ou reconquérir l’espace. Mais, pour le garder, que faut-il? Tenir. Et pour tenir? Savoir que l’épreuve du dernier quart d’heure est la bonne souffrance, la souffrance libératrice.


CHARLES BENOIST.

Le Directeur-Gérant, RENE DOUMIC.