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contre-attaque, n’était-il pas en même temps plus sage et plus profitable, abandonnant Boroevic à ses réflexions, d’essayer de déloger du Trentin Conrad déjà ébranlé ? C’est ce parti que paraît avoir choisi le général Diaz; les combats ont repris sur le plateau d’Asiago, où les alliés ont enlevé à l’adversaire le Mont Val Bella, le col del Rosso et le col d’Echete. Sur la basse Piave, vers Capo-Sile, on ne poursuit plus que par des tirs de harcèlement les traînards de la déroute autrichienne. Il semble que la retraite de Boroevic ait désormais porté à peu près toutes ses conséquences militaires; attendons-nous pourtant à ce que l’Autriche, stimulée et au besoin redressée par l’Allemagne, mise aux ordres immédiats d’un général allemand, s’efforce de couper le jeu, si elle n’est pas absolument à bout. Mais le peut-elle, et que peut-elle? Il y a, en Autriche, désignes de plus en plus nombreux, de plus en plus évidents, de plus en plus concordants, d’une situation politique grave.

Dès le lendemain de la débâcle, le 24 juin, M. Lloyd George, à la Chambre des Communes, en marquait les répercussions et en mesurait la portée. « Ce qui vient de se passer en Italie est plein de promesses, disait-il. C’est un des événements les plus prodigieux de l’année... C’est une défaite infligée à une puissance qui ne se trouve pas dam les conditions les meilleures pour la supporter... La faim pousse les populations non pas seulement au mécontentement ou à la sédition, mais même à la révolte dans quelques-unes des plus importantes villes d’Autriche. »

Le ministre autrichien du ravitaillement, le Dr Paul, avait fait à Berlin un voyage d’imploration inutile. L’empereur Charles ne pouvait demeurer sur cet insuccès: il a sollicité personnellement l’empereur Guillaume, qui a feint de se laisser attendrir. Tandis que Ludendorff lâchait avec parcimonie, pour soutenir surtout l’armée austro-hongroise épuisée, quelques milliers de tonnes de farine, l’Empereur allemand jurait de partager avec son fidèle second jusqu’à son dernier morceau de pain. Et peut-être était-ce un prétexte pour diminuer la ration de l’Allemagne, mais celle de l’Autriche n’en sera guère ni pour longtemps augmentée. Il est vrai qu’il n’est nécessaire, à la saison où nous sommes, que de « faire la soudure, » et qu’on la ferait en gagnant deux ou trois semaines, s’il y a une récolte suffisante et si l’on ne doit pas voir se répéter cette année encore la déception de l’Oukraine et de la Bessarabie. Mais, de toute façon, il faut gagner des semaines, et il n’est pas, selon le proverbe, de jours plus longs que les jours sans pain. Vivre, pour l’Autriche,