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le témoignage peut-être partial, en tout cas partiel, de ceux-là, des injustices. Ce sont des sujets où il est aisé, et où il n’est pas indifférent, de se tromper : on peut faire passer, à tel moment, la ligne par tel point où, dans les fluctuations du combat, elle n’avait passé qu’un instant avant, ou n’allait passer que le moment d’après ; attribuer à tel chef d’armée la conception de tel dessein que tel autre n’aurait fait qu’exécuter ; prononcer à bon droit un nom, à tort en taire d’autres ; confondre les unités et en brouiller les numéros ; menues erreurs presque inévitables, et qu’il n’y a point à s’excuser de n’avoir pas sans une défaillance évitées. Mais il n’y a d’histoire, comme il n’y a de science, que « du général ; » elle s’écrit, comme la guerre se fait, par masses. Le reste n’est que l’anecdote. Prenant l’ensemble de haut et de loin, on est sûr de tenir l’important, l’essentiel, on a des chances d’approcher le certain, le définitif.

Il est certain, répétons-le, si l’Allemagne, déçue et piquée, ose insinuer le contraire, que, le 15 juillet, nulle part sur toute l’étendue du front engagé, nous n’avons été surpris par l’attaque, à laquelle nous étions prêts et parés, mais que, tout à l’opposé, c’est nous-mêmes qui avons surpris. La preuve en est non seulement dans l’ordre du jour, d’ailleurs admirable, que, dès le 7 juillet, le général Gouraud adressait à ses troupes françaises et américaines : « Le bombardement sera terrible, vous le supporterez sans faiblir. L’assaut sera rude, dans un nuage de fumée, de poussière et de gaz, mais votre position et votre armement sont formidables. Dans vos poitrines battent des cœurs braves et forts d’hommes libres. Personne ne regardera en arrière ; personne ne reculera d’un pas. Chacun n’aura qu’une pensée : en tuer beaucoup, jusqu’à ce qu’ils en aient assez. » La preuve est, par surcroît et par-dessus tout, dans le fait que, dix minutes avant que les Allemands ouvrissent leur feu, nous ouvrions le nôtre. On conte même à ce sujet un épisode amusant. Un de nos généraux, qui savait l’heure fixée par le commandement ennemi, comptait les secondes. Elles s’écoulaient, et l’artillerie allemande demeurait muette. N’était-ce que l’hésitation causée par l’étonnement d’avoir été devancée ; y avait-il eu contre-ordre ? Soudain, des coups éclatent ; un obus démolit la maison où le général, un peu morose, s’interrogeait ; et le général sort des décombres, avec le sourire que l’obus libérateur lui avait rendu. A de tels signes, reconnaissons une bataille qu’il serait insuffisant de dire attendue, mais désirée, espérée ; et espérée et désirée, parce que, de notre côté, elle avait été soigneusement, minutieusement, amoureusement préparée.