Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/719

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quinzaine de juin, et dont chacun, pris isolément, n’était rien, mais qui tous concouraient et disposaient à une plus grande action. Si les Allemands avaient eu moins d’admiration pour eux-mêmes, plus d’estime pour leurs adversaires, ils se seraient souvenus que c’était justement la doctrine enseignée par le général Foch, cette préparation de la bataille, du terrain et des hommes, par des combats préalables où l’on met l’un en forme et les autres en haleine. Car voici que, chez nous, il s’était éveillé, il s’était réveillé une pensée. Le tort de Ludendorff a été de n’y pas croire, ou de croire que nous n’avions plus assez de ressources, ou assez de ressort, pour passer du projet à l’exécution.

Tout à coup, Mangin a bondi. Foch, qui, depuis le 15, trois jours entiers, le retenait à deux mains, l’a lâché. Peu de bombardement. Des tanks, et puis l’infanterie, la reine des batailles, celle qui les gagne avec ses jambes, avec ses bras aussi. Vague par vague, elle progresse, et jamais on n’a fait comparaison plus juste. Il semble qu’à chaque étape, la vague revienne lécher la vague pour la dépasser. Au Sud de l’Ourcq, Dégoutte suit, d’un mouvement d’abord plus lent, puis accéléré. Deux ou trois kilomètres, puis cinq ou six, puis on ne mesure plus le gain. On compte les prisonniers faits et les canons enlevés. Les bulletins vont grossissant: 17 000 prisonniers, 360 canons, plus de 50 000 prisonniers, plus de 400 canons. A l’une des extrémités, nous dominons Soissons; à l’autre, nous saisissons Château-Thierry. Mais, d’une extrémité à l’autre, la pensée unique. La pensée unique, la volonté qui organise et ordonne, le verbe qui commande. A la voix du chef unanimement accepté comme le plus digne, les éléments multiples et divers d’une armée immense et rajeunie par un afflux de sang jeune, par un apport de nerfs frais, se joignent, se soudent, s’articulent: Américains, Anglais ou plutôt Britanniques (il y a des contingents de tout l’Empire), Italiens. Simultanément, de la rive gauche de la Marne, le général Berthelot et le général de Mitry, poussant du Sud au Nord, crèvent le fond du sac. L’Allemand se retire de nuit, pour éviter un pire destin. La rive gauche est nettoyée. La rive droite n’offre à l’ennemi qu’un abri précaire. Il envisage la possibilité, la probabilité d’un plus long recul que, s’efforçant de sauver la face, il proclamera d’autant plus élastique qu’il pliera et reculera davantage. Ce recul sur une ligne qui serait peut-être la Vesle, une division de la garde prussienne, non loin d’Oulchy-le-Château, deux ou trois autres divisions de choix dans la montagne de Reims, se font hacher pour le permettre; le canon fait rage pour le