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çà et là ses cellules, et que déjà l’on entrevoit un bourgeonnement. Les Alliés se sont décidés à agir sur la côte mourmane pour maintenir leurs communications avec Arkhangel, et par-là pouvoir tendre une main à ce qui et à ceux qui, en Russie, voudraient se relever. Le Japon paraît se décider à intervenir en Sibérie, après un flottement et des frottements qui ne lui sont sans doute pas tous imputables; pour ne pas laisser tomber vains les efforts des contre-gouvernements qui essaient de se former à Vladivostok, à Omsk ou ailleurs, pour ne pas laisser finir inutile la fantastique et superbe équipée des Tchécoslovaques. Il est tard, mais de grands tronçons du Transsibérien sont encore libres; par-là encore, une main peut être tendue, et une main puissante. De Vologda à la mer Blanche, un des membres disjoints de l’énorme corps gisant s’agite ou remue. Aucune des questions baltiques, oukraniennes, caucasiennes n’est, ni intérieurement, ni extérieurement, réglée. Il y a la Finlande, il y a la Lithuanie, il y a la Pologne, il y a la République tatare; ou mieux, il n’y a ni Finlande, ni Lithuanie, ni Pologne, ni République tatare; ni les anciennes, ni les nouvelles. Il y a le néant, il y a le chaos, il y a l’anarchie, toutes les couleurs du mal, la nuit noire, la terreur rouge. L’Allemagne, pour avoir trop embrassé, ne tient rien. Le plus « chiffon de papier » de tous ses « chiffons de papier, » c’est le traité de Brest-Litovsk. Des questions se posent incessamment, inextricablement, aiguës, tragiques, qu’elle est incapable de résoudre. L’orgueil allemand a dû supporter, « avaler » et « digérer » l’assassinat du comte Mirbach ; l’impérialisme allemand, la fraternité des souverains, la solidarité des têtes couronnées n’ont pu empêcher, — car on se refuse à croire que l’Empereur du moins ne l’ait pas voulu, — l’assassinat de Nicolas II. Ne lui prêtons pas gratuitement des calculs abominables ; nous-mêmes, à cet égard, nous ne sommes pas sans reproche. Avec les Lénine et les Trotsky, nous ne pouvions plus rien pour l’homme qui avait été notre ami; mais il y avait eu un moment, au début de la Révolution, où nous aurions pu dire un mot, faire un geste : qu’avons-nous fait? qu’avons-nous dit?

De sagaces esprits s’attendent à ce que nous assistions à un renversement de la politique allemande en Russie. Ayant tiré des complaisances bolchovistes tout ce qu’elle avait à en tirer, l’Allemagne casserait son outil et le rejetterait; elle remettrait d’accord son intérêt et ses principes en restaurant une monarchie, qui ne serait pas moins son esclave que les bolcheviks ne l’étaient, puisqu’elle leur devrait sa vie, comme ils lui devaient leur naissance. Peut-être le