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pour soi, en sont, comme la Russie, comme l’Oukraine, comme la Roumanie, comme demain peut-être la Finlande, au point où le joug allemand s’appesantit. En ce point, il n’est pas permis à la puissance allemande de mollir ; elle ne déclinerait pas impunément. Ce qui condamne le règne de la peur, c’est qu’elle condamne à toujours faire peur. La faiblesse de la force, c’est qu’il faut que jamais elle ne cesse d’être la plus forte.

L’Allemagne n’inspire plus assez la peur pour ne pas avoir à craindre de trop inspirer l’horreur. Après le comte de Mirbach à Moscou, le feld-maréchal von Eichhorn vient d’être assassiné à Kieff. Un jeune homme, qui se dit socialiste révolutionnaire et qu’on dit avoir été plus ou moins le secrétaire de l’ancien commissaire à la guerre du temps de Kerensky, Savinkoff, lui a lancé une bombe dans la rue et à quelques pas du palais qu’il habitait. Tout de suite, la presse de la Wilhelmsstrasse a dénoncé l’œuvre de l’Entente, à qui c’était faire une injure bien gratuite. Sans compter que ce sont des armes qu’elle n’emploie pas, elle s’était trop longtemps montrée incapable d’intervenir en Russie par des moyens quelconques, pour pouvoir être suspectée d’être intervenue par des moyens si énergiques. Au surplus, le crime eût été aussi imbécile qu’odieux. Même pour une politique, complètement indifférente à la morale, qui ne regarde qu’à la fin, telle qu’on en a quelquefois, et autrefois, formulé de pareilles par amour de l’art, ou pratiqué par vice, par nécessité, par dilettantisme, le pire des crimes est un crime inutile. Quel mobile eût porté l’Entente à l’assassinat d’Eichhorn? Pour quel bénéfice? Supprimer le maréchal, était-ce chasser l’Allemagne de l’Oukraine? Mirbach au cercueil, est-ce que Helfferich a hésité à accepter son poste? On ne pouvait se flatter de brouiller le gouvernement impérial avec le gouvernement oukranien, premièrement parce que l’Empire, qui a supporté l’attentat contre son ambassadeur, eût été embarrassé pour châtier le meurtre de son représentant militaire; deuxièmement, parce qu’il eût été absurde jusqu’à l’impossible de s’en prendre de la mort violente du maréchal Eichhorn à l’hetman Skoropadsky, si, comme on l’a dit, l’hetman, qui multiplie du reste les signes de soumission, était le propre beau-frère du maréchal. L’axiome : « Cherche à qui cela profite, » ne s’applique donc pas ici, en tout cas ne s’applique point à l’Entente, car, hors de la Russie et de l’Oukraine, où il n’est pas certain que cela profite à quelqu’un, on ne voit personne à qui cela ait pu ou puisse profiter. La vérité est beaucoup plus simple. L’Allemagne récolte ce qu’elle a