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mais dans cette substance même nous ne trouverions en fin de compte que des manifestations étonnantes de vie inexplicable essentiellement et d’ordre magnifique. Car, ainsi que Henri Poincaré l’a maintes fois et lumineusement démontré, le sens absolu de ces mots : force, masse, électricité, cohésion, affinité, et de toutes les autres propriétés dénommées de la matière, nous échappera toujours ; le contenu, notre cerveau, ne peut jamais prétendre à absorber qu’une part du contenant, — l’univers sensible.

C’est donc prêter le flanc bien naïvement aux triomphes puérils des matérialistes simplistes et, disons le mot, primaires, du genre Hœckel, que d’avoir des craintes pour l’avenir de l’idéalisme et surtout de l’agnosticisme, source de tous les beaux rêves, parce que s’étend plus ou moins le domaine de cette prodigieuse et vibrante inconnue qu’on appelle la « matière, » et dont nous ne connaissons bien que le nom que nous lui avons donné.

La meilleure preuve, et la plus récente, de tout ceci et du tort que les platoniciens avaient de combattre pour des raisons métaphysiques l’atomisme de Démocrite, c’est que, ainsi que je le montrerai, les découvertes les plus récentes ont établi que les atomes, les particules ultimes de la matière, sont dénués de ces qualités qui nous paraissaient caractéristiques de toute substance sensible : la masse, l’inertie. Aux limites où pousse aujourd’hui l’analyse du physicien, la masse des corps, l’inertie elle-même disparaissent, s’évanouissent : elles ne sont plus que des manifestations d’énergie fallacieusement interprétées par nos sens grossiers.

Ainsi l’atomisme grec, si violemment attaqué pour son matérialisme, aboutit vingt-cinq siècles après sa naissance à l’évanouissement de la matière elle-même ; il n’y a plus de masse, il n’y a plus d’inertie, il n’y a plus que de l’énergie dans les choses, c’est-à-dire de l’esprit. Étrange aboutissement, en un sens presque spiritualiste, et que nous expliquerons, de la plus matérialiste des doctrines !

Dès le début des temps modernes, nous retrouvons chez Gassendi, chez Descartes et chez Newton à peu près les mêmes idées que chez Démocrite. Comme lui ces philosophes pensaient que la différentiation des choses pouvait provenir des formes et mouvements variés des atomes. C’était l’époque où Descartes exprimait l’opinion si exactement vérifiée depuis peu, — que la chaleur résulte du mouvement des particules corpusculaires ; peu après, Daniel Bernonilli (1783) posait les bases du développement physique de la doctrine atomistique par son mémoire sur la théorie cinétique des gaz.