Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/407

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


— Sur ta tête chérie, sur notre enfance, sur celui qui distribua les religions, je suis libre comme la feuille !

Il s’assura de nouveau que pas une âme ne rôdait aux alentours ; il s’élança vers elle, l’attira contre sa poitrine. Soulagée de l’obsession, elle ne trouva plus la force de résister à l’appel de son fiancé…

Didenn et Aïcha s’étaient aimés depuis l’enfance. Le temps n’était pas si lointain où ils jouaient ensemble aux Sept-Pierres, le long de la route du Marabout. La Bédouine s’était toujours émerveillée du petit Sid, de sa figure mâle, de ses cheveux bouclés sous la chéchia de Fez, des beaux costumes brodés et des gandourahs de soie qu’il portait avec l’élégance d’un fils de bey. Il n’avait pas hérité de la fierté hautaine de ses parents. Bien qu’Aïcha fût très pauvre, souvent humiliée par ses compagnes, il n’aimait jouer qu’avec elle. Et lorsque les petites moqueuses riaient de sa gandourah en lambeaux, de ses bracelets de bois, il leur cherchait querelle, il les battait pour la défendre…

Il aimait le caractère original de l’enfant des gourbis, ses manières libres, la crânerie de ses répliques. Pour le jeune Sidi accoutumé à tout le cérémonial des harems, elle avait la saveur d’une orange au cœur de l’été. Elle n’imitait jamais personne. Elle était restée comme la plante du désert, qui se nourrit du jus de sa propre racine.

— Tu seras ma femme, lui répétait-il sans cesse en se frôlant contre elle.

Sa femme ! Être la femme de ce bey, tendre, beau, riche, instruit, car il allait à la médersah ! Être achetée par cette grande famille ! Dieu savait le prix qu’ils mettraient pour donner une épouse à leur enfant ! les cadeaux qu’ils feraient aux parents pauvres d’Aïcha ! Vivre dans cette demeure somptueuse, dont elle distinguait quelquefois, par la porte du jardin entrebâillée, les grandes cours de mosaïques, les bosquets rehaussés de jets d’eau, les négresses vêtues de soie qui sommeillaient sous les lentisques !…

Derrière le gourbi qu’habitaient les parents d’Aïcha, il y avait une sorte d’enclos. Cet enclos était abandonné depuis longtemps, mangé par la vinaigrette : les voisins jadis venaient y déposer leurs décombres.