Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/415

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Des hommes venaient ensuite, à pied, habillés de burnous de laine blanche. Leurs bras soutenaient en l’air de grands lustres ciselés à la turque, aux verreries multicolores. Puis, c’étaient des négresses, des négresses taillées en colosses, sous des gaines de satin rouge, et sur leurs têtes des plateaux de cuivre que garnissaient des monceaux de pâtisseries. Nonchalant, un dromadaire gigantesque terminait ce défilé. Sur sa bosse, drapée de foutas marocaines, un palanquin se balançait, tout de velours cramoisi, avec des franges de soie et d’or. De ce riche dôme flottant, il s’échappait des voix harmonieuses, des you-you, de la musique…

Pour quelle occasion ce magnifique apparat ? Où se dirigeait la noble fête ? Aicha fouilla dans sa mémoire. Aucun voisin, aucune famille de Sidi-Bou-Medine, à sa connaissance, n’avait annoncé de réjouissances pour ce matin…

La caravane avançait sous le soleil. On voyait courir les guides. Quelques adolescents richement vêtus, une main rougie de henné, arrivaient à grands pas se joindre au défilé. Les musiciennes invisibles entonnèrent le chant de l’Arrivée :

Nous arrivons, nous arrivons !
Ô heureuse entre les heureuses,
Que Dieu fasse durer ta joie
Et ton triomphe !…

Des portes de petites maisons blanches s’ouvraient au passage. Une à une, sur des fonds de patios bleus ou roses, apparaissaient des têtes de Tlemceniennes, ornées de foulards d’or et de piquets de jasmin. Des grappes d’enfants sortaient, battaient des mains à l’unisson de ceux qui, juchés sur les ânes, battaient de la derdouka. Le petit bois de cyprès répercutait en échos mystérieux toute cette allégresse…

La caravane montait toujours. Aïcha s’était effacée contre la fontaine, elle avait ramené son voile sur sa gandourah des pauvres, et elle assistait, émerveillée. Soudain, un cri lui échappa, cri de douleur, cri de mort. La caravane commençait à faire halte… là-bas… devant la maison de Sid Kasbadji. Les enfants hurlaient, battaient des mains de plus belle :

— La voilà, la mariée de Sidi Didenn ! La voilà, la mariée de Sidi Didenn !

Elle crut qu’elle n’avait pas bien entendu. Quoi ? C’était la