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dont elle enduit la semelle d’un doigt de miel. Qu’une prospérité aussi douce entre avec cette nouvelle femme dans la maison !…

Le cortège pénètre sous la porte basse. Pèlerins avec leurs lustres, négresses et leurs cargaisons de pâtisseries, jeunes hommes graves et enfants tapageurs, tout disparaît en un instant. La porte se referme. La musique recommence à l’intérieur, au milieu des jardins entrevus.

Devant le seuil, quelques curieuses restent à jacasser, tandis que les guides attachent le dromadaire au tronc d’un saule.

Aïcha, plus morte que vive, avait quitté sa place contre la muraille. Elle se traîna jusqu’au paquet d’ouvrage qu’elle avait abandonné près de la fontaine, et s’éloigna, chancelante comme une aveugle.

Folle, qui avait nourri l’espoir de devenir l’épouse d’un fils de grands sidis ! Elle, la fille du banni, l’orpheline du marchand de légumes, la Bédouine des routes de Sidi-Bou-Medine !… Toute sa rage venait de se fondre en un désespoir sans fin. La supériorité de cette nouvelle femme l’avait écrasée. Elle apportait sur ’elle le prestige de la race et l’éclat d’une incomparable beauté. Une telle épouse était seule digne d’un tel bey. Et dans ses bras, elle en était sûre, Didenn oublierait vite la pauvre petite amie d’enfance, maigre et brûlée, mesquine et misérable, vers laquelle il était retourné un soir dans un élan de pitié… Les you-you, les chants de triomphe, tous les bruits de la noce résonnaient à travers la campagne. Enfin, elle atteignit le seuil de son gourbi. Elle jeta le tas d’ouvrage aux pieds de sa mère, s’affaissa à plat ventre et, laissant éclater son désespoir, elle commença de s’ensanglanter les joues.

La noce bat son plein. La mariée est étendue dans une pièce à l’écart de la maison, sur un grand lit de cuivre, aux rideaux tirés. Une vieille camériste la garde, qui doit lui faire sa toilette à minuit, au moment de l’offrir à son époux. Les portes sont closes. Personne n’approche du sanctuaire. Les parents du jeune homme ne connaissent pas encore la femme de leur fils.

Au milieu de la grande cour, les invitées sont réunies, dans le frou-frou des serouals de satin, l’éclat des diamants et le cliquetis des khelkhal. Un orchestre est installé entre deux