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après la domestique dans une pièce étroite où l’attend son époux. Il n’a pas le droit de l’admirer sous son costume de fête au milieu de ses compagnes. Du moins veut-il la contempler isolément. Il l’embrasse, la complimente sur ses atours et sa beauté.

— Assurément, tu es la reine entre les reines !… Tu es le croissant de lune au milieu des étoiles !…

Il lui renouvelle les louis dépensés, et lui enguirlande les épaules de jasmin. Elle s’éloigne lentement, pour lui laisser le loisir de la contempler encore. Et chacune de passer ainsi, à tour de rôle, se faire aduler du sidi.

Les sidis, eux, sont réunis dans le jardin. Ils se contentent de la musique entendue en sourdine, de narguilehs qu’on leur sert sur des tables basses, et de causeries entre eux, discrètes, parmi la fraîcheur des ombrages…

Didenn est prisonnier là-haut, dans la somptueuse chambre nuptiale située à l’étage supérieur de la maison. Tous les bruits de la fête montent jusqu’à lui, les chants et la musique de la cour, le murmure des hommes sous les figuiers, les ébats des enfants qui, réunis dans une salle à part, s’en donnent à cœur joie de couscous, de pâtisseries au miel et de refrains du bled. Il n’est point seul. Le jeune époux n’est jamais abandonné à la solitude. Les djinns, jaloux de son bonheur, surgiraient le battre. Dadda sa négresse tourne autour de lui, lui présente à se rincer les doigts dans une cuvette d’argent, tapote les rideaux du grand lit nuptial, étale sur les draps blancs la chemise de soie de la mariée, dispose aux pieds des colonnes de cuivre les pantoufles jumelles des époux.

Assis sur un sofa de velours rouge, Didenn a le cœur gros. La vue des préparatifs suprêmes lui bouleverse les traits, porte au comble son émotion. Il songe à l’idylle brûlante auprès du Puits des Sept Vierges, à sa petite amie d’enfance, à qui il avait promis tant de bonheur… Il songe à cette soirée où il s’était attardé avec elle plus que de coutume, où il avait juré avec tant de force que bientôt il la ferait demander à sa mère par la vieille entremetteuse de Sidi-Bou-Medine et qu’il ne vivrait plus jusqu’à ce jour… Ils ne s’étaient séparés que lorsque la nuit trop avancée les effraya. Lui ne parvenait pas à se détacher d’elle : sans doute il obéissait à quelque pressentiment mauvais… Et cet instant où il l’avait vue s’éloigner pour la