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Bédouine. Ainsi elle n’était point pressée d’aller vers l’amour qui l’appelait ! Elle s’attardait avec tant de sollicitude auprès d’une miséreuse! Elle était si calme lorsque l’impatience du bonheur eût dû la rendre fébrile ! Aïcha sentait bien qu’à sa place, elle aurait oublié sa mère.

Lorsqu’elles furent seules, Lalla Zoulikha lui passa un bras autour du cou, et la regardant dans les yeux, plus pressante :

— Dis-moi, répéta-t-elle ; que faisais-tu là toute seule, au coucher du soleil ?… Une jeune fille de ton âge !…

Aïcha se sentait gagnée malgré elle par la chaleur de cette étreinte, par la douceur de cette voix. Elle balbutia :

— J’attendais, moi aussi !… Je voulais voir passer la mariée…

Un sourire satisfait éclaira le visage de la fille des Marabouts.

— Que Dieu te grandisse et qu’il approche ton tour !… souhaita-t-elle à la Bédouine. Et maintenant que tu m’as vue, tu vas rentrer… L’air fraîchit. Tu t’appuieras à mon bras, si tu ne peux aller seule, et je t’accompagnerai jusqu’au seuil de ta maison…

— Non… non ! Que Dieu te remercie, ya lalla ! Tu peux t’en aller tranquille… Je vais rentrer tout de suite… seule comme je suis venue… Va, ne t’attarde plus… C’est ton soir de bain…

— Je ne suis pas pressée, insista Zoulikha. Allons, viens, petite mère, que je t’accompagne…

Oh ! cette parole : je ne suis pas pressée ! Et ce mot d’affection extrême : petite mère ! Et Aïcha avait voulu tuer cette femme !… Elle recula soudain comme à l’approche d’une vipère : sa jambe venait de frôler la lame du yatagan…

— Non, s’écria-t-elle, non, laisse-moi, laisse-moi dans mon malheur !

— Que Dieu préserve, que Dieu éloigne !…

Et Lalla Zoulikha attira contre son cœur la tête de l’infortunée. Et c’était touchant, cette mariée de quatorze ans, dans sa compassion inépuisable pour une rivale plus âgée qu’elle.

Aïcha ferma les yeux. Une rougeur couvrit son front. Elle était une maudite. Cette rivale était une sœur. Dans son sein parfumé, elle enfouit son visage et, à corps perdu, elle sanglota.

— Pleure, pleure, ma fille… Que ton cœur se rafraîchisse…? Mais la jeunesse est en toi… Et Dieu arrangera ta chance…