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— Je veux que tu répares, Didenn, en prenant Aïcha pour femme ! — Quoi ! Tu veux que je l’épouse ?

— Je veux et il le faut. L’un et l’autre, nous appartenons à des lignées de marabouts. Ils ne nous pardonneraient jamais qu’un homme comme toi ait bu la liqueur pour laisser le fond du vase à cette malheureuse…

Didenn s’écarta, laissa aller sa tête entre ses deux mains, et demeura sans répondre, en proie à une douloureuse réflexion. Elle ne l’interrompit point, ne fit aucun mouvement. Dans une attitude digne, elle attendit patiemment sa réponse. Enfin, Didenn releva la tête. Il découvrit un visage consterné, mais d’une voix ferme :

— Femme, dit-il, ce que tu me demandes est impossible… Même si je le voulais… Mes parents ne me l’accorderaient pas… Car écoute…

Mais Zoulikha s’était levée.

— Didenn, je sais tout. Si tu consens à faire ton devoir, le reste me regarde…

Par un gai matin de novembre, une nuée de Tlemceniennes traversait le petit bois de cyprès à la lisière de la fontaine, riant et causant tout à la fois. La brise gonflait leurs gandourahs blanches. Leurs sarmates rouges, verts, jaunes, bleus, étincelaient au soleil levant…

De loin, elles aperçurent Dadda, la négresse des Kasbadji, qui remontait la grande route, le pas alerte, toujours raide dans sa gaine de soie rutilante, un coussinet de satin rouge qui tressautait sur ses cheveux crépus. Au souhait de passage des belles promeneuses, elle répondit :

— Eh ! les filles… Allah a béni Sidi-Bou-Medine dans cette nouvelle lune… Vous allez de noce en noce, sans dire : Nous sommes fatiguées !

— Grâce à Allah ! Grâce à Allah ! Dis qu’il nous préserve du mauvais œil, lança la plus superstitieuse des femmes.

— Alors, c’est fait, mamma Dadda ?

— C’est fait. Allez, allez vous réjouir. Dieu vous a donné… Je viens de faire la demande…