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missaires : ils ne servent pas leur prestige. Il faut d’ailleurs reconnaître que la politique à pratiquer en ce qui concerne les affaires russes, toute nécessaire qu’elle est, est très difficile. Elle consiste, en effet, à la fois à aider les États autonomes qui se sont constitués sur les frontières de l’ancienne Russie, et à rapprocher un jour ces États allogènes d’une Russie reconstituée. C’est dire qu’elle réclame à la fois une action immédiate dans les petits États et un dessein d’avenir à l’égard de la Russie. Or, ce dessein se heurte présentement à deux sortes d’adversaires qui ont partie liée, les bolchévistes et les Allemands. La situation des armées des patriotes russes n’est pas bonne : Koltchtak recule en Sibérie, et Youdénitch est en mauvaise posture au Sud de Pétrograde. Il n’y aura pas de paix réelle en Europe, si la question russe n’est pas réglée ; il n’y aura pas d’avenir possible pour celle paix, si la Russie n’est pas mise à l’abri de l’emprise germanique.

L’Allemagne, elle, ne perd pas de temps. Elle a mis de toutes façons à profit les semaines que lui laisse le Conseil suprême. Non seulement elle se dispense, tant que le traité n’est pas entré en vigueur, de nous livrer le charbon qu’elle nous devra, ce qui n’est pas sans importance à une époque de crise : mais elle saisit toutes les occasions qu’elle trouve de limiter par avance les effets du traité. Tout ce qui s’est passé depuis quinze jours confirme l’impression que donnaient les actes précédents de l’Allemagne au sujet de la Russie. Dans les régions baltiques, elle intrigue avec les éléments antibolchévistes et laisse les troupes de von der Goltz à la disposition du prétendu patriote russe Bermont, sous prétexte qu’elles doivent collaborer à la prise de Pétrograde. Et dans le même temps, le gouvernement de Berlin manifeste publiquement en faveur des bolchévistes. Le ministre des Affaires étrangères proteste contre le blocus infligé à la Russie. Il fait mieux : il refuse aux Alliés de participer à cette opération. Les Alliés s’étaient adressés à l’Allemagne comme aux pays neutres pour l’inviter à collaborer au blocus. L’Allemagne se dérobe : elle ne veut pas favoriser une politique d’ordre ; elle tient à faire figure d’une nation qui évite de se mêler des affaires russes, espérant ainsi à la fois ménager les bolchévistes de Moscou et exciter les apologistes de Lénine dans les pays de l’Entente à créer des difficultés à leurs gouvernements. En réalité l’Allemagne entend garder le contact aussi bien avec le parti de Lénine, qu’avec les éléments russes de droite qui sont en conversation avec les états-major germaniques. Manœuvrant entre les deux partis, elle