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plus grande partie de la nation ; mais il existait. Notre pays a ainsi donné ce spectacle paradoxal et qui a souvent trompé les observateurs étrangers qui ne nous connaissent pas bien : à la surface, une politique agitée, des querelles dissolvantes, des divisions, des concessions excessives aux partis d’extrême-gauche, des injustices, des finances publiques médiocrement administrées, et comme conséquence une défense nationale négligée ; — et en réalité une nation travailleuse, économe, sage, pratiquant les vertus familiales, attachée à ses traditions, raisonnable et docile. La guerre a passé. La nation a jugé la politique qu’elle avait supportée, disons même qu’elle avait acceptée. Or cette politique, examinée à la lumière des événements, n’a pas seulement contre elle bien des souvenirs regrettables : une certaine opinion en France supposait qu’il n’y aurait plus de guerre et au besoin elle l’affirmait. Tous les partis peuvent avoir des illusions ; seulement il y a des sujets sur lesquels l’erreur est impardonnable. Brusquement attaqué, notre pays s’est levé pour se défendre ; il a donné héroïquement ses enfants. Mais il se souvient. Aucun peuple n’aime être trompé, et quand il se trompe lui-même, il lui faut pour vivre réparer ses fautes. C’est Louis-Philippe qui disait à Claremont, sa dernière résidence : « Le peuple n’est jamais coupable. » Par cette formule d’une sage indulgence, le vieux roi voulait dire sans doute qu’une nation finit toujours par voir clair. Notre pays a été témoin des événements et il les a compris. A l’échec des socialistes et des radicaux les plus compromis dans l’alliance socialiste, il y a d’abord cette cause essentielle, l’erreur de leur passé : rien de ce qu’ils avaient annoncé ne s’est produit ; ce qu’ils avaient nié est arrivé.

Il existe une autre cause : c’est qu’après avoir reçu l’enseignement si rude de l’histoire d’hier, les socialistes ont persisté à vouloir régenter l’histoire de demain. Le socialisme français a eu durant la guerre l’occasion de choisir sa voie, et il a paru vouloir le faire. Il avait commencé par participer à l’union sacrée, par collaborer à la défense nationale, par entrer même dans les gouvernements qui avaient la responsabilité de la conduite de la guerre. Malgré les doutes qu’inspiraient les aventures de Kienthal et de Berne, et les velléités d’aller à la conférence de Stockholm, il semblait possible qu’il mît l’intérêt national immédiat au dessus des destinées du rêve de l’Internationale. Mais la révolution russe est venue et lui a versé une sorte de fatale ivresse. Par un aveuglement difficilement explicable, les socialistes se sont faits les défenseurs du régime qui a