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mené la Russie à un effroyable cataclysme, et c’est cette anarchie tyrannique des Soviets qu’ils prétendaient proposer comme un modèle. Si forte a paru cette obstination que, dans le parti unifié même, il y a eu des résistances. Dans tout le pays, il y a eu davantage encore ; il y a eu un refus absolu, qui vient d’être exprimé par les élections avec une parfaite clarté. C’était une singulière audace que de proposer à des hommes qui ont supporté cinq ans de sacrifices sublimes et qui ont un immense labeur à accomplir, un bouleversement qui ne doit les mener aux temps futurs qu’après les avoir faits passer par la misère et la douleur. C’était une folle conception que de vouloir substituer au travail de reconstitution et de production qui s’impose une paralysie systématique de grèves aboutissant au dépérissement, puis à la ruine. Pour illustrer par un exemple frappant à la veille des élections le caractère de leur politique, les partis extrêmes avaient imaginé d’empêcher par une grève les journaux parisiens d’être publiés. Ce qui n’était arrivé ni durant les guerres de l’Empire, ni pendant la révolution de 48, ni dans les années douloureuses de 70 et 71, ni au cours de la guerre de 1914, s’est accompli par la volonté de quelques meneurs. Ce régime de ténèbres, imposé à un peuple si fier de ses libertés publiques, a pu être atténué par l’initiative des directeurs de journaux et par la publication d’un quotidien dû à l’union de tous, la Presse de Paris. Il n’a pas été, au moment même du vote, une intimidation : il a été au contraire un enseignement. Les projets de révolution n’ont été populaires ni dans la masse du public, ni même chez la grande majorité des ouvriers plus sage et meilleure juge de ses intérêts que ceux à qui elle consent à obéir.

Mais il est une partie considérable de la population à laquelle ces vues d’avenir ont inspiré une particulière défiance : c’est aux paysans. Les campagnes ont cruellement souffert de la guerre, parce que c’est d’elles que venaient un très grand nombre de combattants qui ont fait preuve de la plus simple, et de la plus émouvante résistance devant l’ennemi. Au point de vue économique, pendant la durée même des hostilités et au lendemain de l’armistice, elles ont connu la prospérité matérielle. Le renchérissement des produits agricoles a beaucoup accru les gains. Des fermiers sont devenus propriétaires ; des propriétaires ont levé les hypothèques dont leurs biens étaient grevés ; d’autres ont étendu leur domaine. Notre pays est depuis longtemps un pays de petite propriété, où la possession de la terre est très divisée. La guerre n’a pas changé cette situation : elle en a accentué