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REVUE DES DEUX MONDES.

Il n’y a qu’une explication plausible de cela (les autres étant exclues par le raisonnement et les faits et par conséquent ne valant pas d’être rapportées ici) : c’est que la masse d’un corpuscule cathodique, d’un électron, est 1830 fois plus petite que celle de l’atome d’hydrogène.

Or, des chiffres que j’ai donnés dans ma dernière chronique relativement au nombre N des molécules contenues dans une molécule-gramme d’un corps quelconque, on peut déduire immédiatement le poids d’une molécule d’hydrogène, et par conséquent celle d’un atome de ce corps qui en est la moitié. En divisant ce nombre par 1830, on trouve que le poids ou plutôt la masse d’un électron est égale à peine à la milliardième partie du milliardième d’un milliardième d’un gramme.

Telle est la masse de la particule ultime qui entre dans la construction de tous les corps connus, de cette brique minuscule commune à tous les édifices atomiques et chimiques, de cet électron que le physicien moderne, à force de prodigieuse ingéniosité, est allé saisir et peser sous les voiles épais de l’invisible.

Cette masse ultime dont l’agglomération forme tous les objets, tous les corps sensibles qui constituent ce monde étrange, cette masse intime, mais que nous pouvions croire réelle, malgré tout et tangible au moins mentalement dans sa pelitesse, nous l’allons voir à son tour s’évanouir tout entière, en laissant notre esprit bouleversé sur les ruines de tant de conceptions qu’on avait crues éternellement évidentes. Au bout de cette course effrénée à travers les merveilles décevantes de la physique moderne, il nous restera dans l’ordre des faits, bien des phénomènes étranges et riches d’applications utiles ; dans l’ordre des idées il nous restera le doute, ce grand charmeur de ceux qui aiment le mystère. Ce ne sera pas peu.

Charles Nordmann.