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Chambras ni personne, enveloppé d’un certain mystère. Aujourd’hui les États-Unis sont invités à approuver son œuvre : ils examinent et discutent.

Il est arrivé quelque chose d’analogue dans les autres pays, avec toutes les différences que peuvent amener les usages et les lieux ; Si le public américain est quelque peu étonné, ou fait des réserves en constatant ce qui a été accompli en son nom, il passe par des sentiments qu’ont eus les autres peuples. La guerre et la paix ont posé à toutes les nations démocratiques un très grand problème : elles ont fait apparaître à la fois la difficulté qu’éprouvent les gouvernements à agir sur la place publique à certaines heures graves, et la difficulté qu’éprouvent les démocraties à remettre leur sort entre les mains d’un petit nombre d’hommes qui ne leur disent pas ce qu’ils font. Au cours de la guerre, on a vu des gouvernements s’efforcer de tenir compte de l’une et de l’autre en associant à leurs décisions quelques commissions parlementaires. Au cours de la Conférence de la paix, on n’a rien vu de pareil. M. le président Wilson aurait probablement évité certaines oppositions qu’il rencontre aujourd’hui si, lorsqu’il s’est absenté de Paris pour retourner en Amérique il avait indiqué les grandes lignes de son dessein, ou si à son retour il avait associé au travail de la délégation quelques représentants du parti républicain ; il les a systématiquement ignorés. Aujourd’hui les républicains lui font sentir son erreur ; ils n’étaient pas bien disposés pour lui, ils ne le sont pas davantage pour son œuvre. Ils prétendent n’y reconnaître ni la pensée ni la politique américaines. C’est peut-être d’ailleurs une volonté du destin qu’à certaines périodes historiques les nations soient représentées par des individualités si marquées et si puissantes qu’elles paraissent en relief sur le plan de ces nations mêmes. Ni M. Lloyd George, ni M. Sonnino, ni M. Clemenceau, malgré tant d’aspects si français de son caractère, n’ont une figure très répandue dans le peuple dont ils ont défendu et symbolisé les intérêts. Mais de quel poids peuvent peser ces considérations quand il s’agit d’un traité qui touche l’avenir de l’univers ? Le Parlement dans notre pays ne s’est pas privé d’user librement et largement du droit de critique ; il n’en a pas moins, après avoir dit son avis, ratifié le traité. Entre les combinaisons de la politique intérieure, si importantes soient-elles, et le sort d’un document qui est destiné à assurer la paix du monde, il n’est pas de commune mesure. C’est une vérité, qui est à la fois d’ordre pratique et d’ordre moral. Pas plus qu’aux peuples d’Europe, elle n’a dû assurément échapper à la raison et à la conscience des États-Unis.