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Aussi ces affaires de parti expliquent-elles davantage les conditions et l’atmosphère dans lesquelles se déroule la discussion que la discussion elle-même. Le sujet essentiel du débat touche à la politique extérieure. Le traité de paix contient un article qui se heurte à la constitution américaine, et c’est sur ce point précis que porte principalement toute la controverse du Sénat. Aux termes de l’article 10 du Traité de Versailles, les États-Unis sont tenus de maintenir contre toute agression extérieure l’intégrité territoriale et l’indépendance de tout peuple membre de la Société des nations, qui ferait appel à cette Société et qui serait appuyé par elle. Or, d’après la Constitution américaine, le Congrès a seul le droit de déclarer la guerre. Tout l’effort des sénateurs républicains consiste à démontrer qu’en fait l’article 10 du traité de paix dépossède le Congrès du droit qui lui est reconnu par la Constitution et qu’il transfère à la Société des nations le pouvoir d’engager les États-Unis dans une guerre. On pourrait à cet égard remarquer que l’opposition signalée entre le texte du traité et le texte de la constitution a une importance théorique plutôt que réelle : il est évident qu’en pratique la Société des Nations, encore dans un état élémentaire et dépourvue de moyens d’action propres, ne risquera pas un vain appel à un peuple dont elle ne connaîtra pas avec certitude les dispositions. Mais à ne considérer que la lettre du traité, le parti républicain a beau jeu pour en tirer argument, élever l’objection constitutionnelle et réclamer une interprétation des conditions où le traité pourra fonctionner. Il tient d’autant plus à s’expliquer complètement que M. Wilson avait évité de le faire, et le silence même du Président sur un sujet si grave lui paraît énigmatique. Comment supposer, en effet, que M. Wilson n’a pas été le premier à prévoir les difficultés que soulèverait l’article 10 ? C’est un juriste renommé ; il a écrit jadis sur « le gouvernement par le Congrès » un ouvrage qui a fait autorité. On ne peut guère croire que l’objection formulée par les républicains lui ait échappé. On imagine plus volontiers que pour la surmonter, il a préféré recourir, non à une discussion préliminaire de théorie, mais à la force des faits accomplis. Dans son livre publié bien des années avant la guerre, M. Wilson a eu comme la prescience de la discussion qui se poursuit en Amérique. Il a examiné le cas où le Président, usant du pouvoir d’initiative dont il dispose dans les négociations, aboutirait à un résultat que le Sénat n’approuverait pas. Et il a remarqué qu’en pareilles conjonctures, le Sénat pourrait être amené à donner son consentement pour ne pas refuser de ratifier des engagements pris aux