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de ravitailler son ancienne alliée. Au plus fort des difficultés du ravitaillement, rAllemagne annonçait cinq mille tonnes de farine ; elle autorisait un trafic de Mannheim à Ratisbonne pour écouler les céréales qui étaient en souffrance sur le Rhin ; l’Assemblée nationale allemande demandait même au gouvernement du Reich de secourir l’Autriche et de réduire pendant quatre semaines la ration du consommateur allemand. La presse autrichienne insistait sur cette générosité de Berlin. Elle utilisait quelques articles parus en Angleterre pour faire croire que la politique britannique demeurait insensible ou du moins indifférente, et qu’elle ne considérait la détresse autrichienne que dans ses rapports avec le marché international. Les Allemands trouvaient dans ces circonstances une occasion de reprendre quelque chose de leur ancienne influence sur Vienne et peut-être de faire davantage : ils n’y manquaient pas. Les deux grandes espérances de l’Allemagne pour réparer sa défaite, c’est de dominer la Russie et de dominer Vienne. Pour s’installer en maîtresse en Autriche, elle a de puissants souvenirs. Son voisinage lui donne de grands moyens. En cas de troubles et de mouvements révolutionnaires, elle est en mesure d’intervenir et elle sait qu’elle aurait d’autant moins de difficulté que sa propagande n’a pas perdu à Vienne ses traditions. Le gouvernement de Berlin alors aurait beau jeu. Il retrouverait du coup son pouvoir sur l’Europe Centrale et la route de rOrient ; il s’avancerait sur le Danube ; il isolerait le nouvel état de la Tchéco-Slovaquie, et tous les pays nouveaux issus du démembrement de l’Autriche ; il aurait le moyen de reparaître enfin sur les frontières de l’Italie. Il n’y a pas pour l’Allemagne battue de chances plus précieuses que celles dont l’Entente lui aurait fait don si elle avait repoussé l’Autriche.

Le Conseil suprême, après avoir écouté l’exposé que lui a fait le Chancelier Renner, a résolu d’intervenir. Ce n’est pas seulement une question d’humanité : c’est une nécessité politique. Pour que l’Autriche puisse jouer dans l’Europe centrale le rôle que les Alliés lui destinent, il faut d’abord qu’elle existe. Elle a besoin de recevoir tout de suite les vivres indispensables pour passer les mois d’hiver ; elle a besoin d’un crédit qui lui permettra d’acheter des matières premières et de se remettre au travail. Ces décisions suffiront à parer au plus pressé : un programme d’ensemble ne pourra être établi que plus tard, c’est-à-dire lorsque l’Angleterre et la France pourront compter sur le concours des États-Unis. Mais un programme restreint aux nécessités présentes servira du moins à réserver l’avenir, et c’est une