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assez le rôle dans les préludes de ce qui devait se préciser plus tard en une autre « alliance. »

Vous pensez bien que M. Madelin avait pris pour sujet : Napoléon. C’est un sujet dont le public d’outre-mer ne se lassait pas. Remarque curieuse! Dès qu’un Français arrive à l’étranger, il s’aperçoit que celui dont on lui parle toujours, comme si rien ne devait lui faire plus de plaisir, c’est ce diable d’Empereur, dont nous ne parlions guère chez nous qu’avec un peu de gêne. Peut-être que les choses ont changé depuis douze ans et qu’il y a aujourd’hui de nouveaux thèmes de conversation ; mais je n’en suis pas sûr. Je me rappellerai toujours cet ami de New-York, un brave homme de marchand, qui, voulant me. faire honneur de ce qu’il possédait de plus précieux, tirait pieusement de son tiroir secret sa plus chère relique : une croix de la Légion d’honneur, qui lui venait d’un grand-père, soldat de la Grande Armée. Et à M. Madelin lui-même est-ce qu’un autre Américain ne disait pas un jour : « Je suis fâché de la France qu’elle n’ait pas célébré le centenaire d’Austerlitz. Notre nation est bien riche : elle paierait beaucoup de milliards pour pouvoir célébrer ce centenaire-là. » À ce moment en effet, — aux environs de 1908, — nous ne nous vantions pas de nos gloires militaires. Nous nous faisions modestes, modestes !… On enseignait dans les écoles une histoire expurgée. On cachait Louis XIV, on effaçait Jeanne d’Arc, on se voilait la face devant Napoléon.

Quelle sottise ! Si j’avais eu sur ce point aucune espèce de doute, il m’aurait suffi d’écouter M. Madelin en Amérique. Rarement je fus à pareille fête. Il faisait passer devant nous, comme des estampes de Raffet, depuis le capitaine Goignet jusqu’au sergent Fricasse, toute la légion des grenadiers épiques. Ah ! il ne mettait pas son drapeau dans sa poche. Et comme il avait raison ! J’aurais voulu voir dans la salle quelques-uns de nos historiens officiels, qui se figuraient qu’il est de bon goût de faire silence sur nos victoires. Je gage qu’ils auraient senti combien ce respect humain est une mauvaire affaire, et ce que vaut une politique qui consiste à se rapetisser.

De ce jour, je vouai à Louis Madelin une vive reconnaissance. Et ce n’était pas la première fois qu’il se faisait ainsi, sous l’habit du conférencier, l’apôtre de la grandeur française. N’était-il pas allé à Metz parler du général Lassalle, devant les huit cents Lorrains des conférences de l’Austrasie et vingt