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hommes en dépit de leurs préjugés et de leurs théories, est celle qui domine l’œuvre de M. Madelin. Il y a, on le sait, une vue apocalyptique de la Révolution qui fait dater de 1789 une rupture et un commencement, la naissance d’une ère nouvelle et l’époque d’une hégire ; c’est la manière mystique d’envisager les faits, c’est le système fameux du « Bloc » républicain. M. Madelin trouve cette légende installée à l’école et pénétrant l’esprit des masses ; en province, dans les professions de foi des candidats, dans les périodes électorales, il discerne quelques grands faits, quelques idées qui viennent tout droit de la Révolution. Il reconnaît dans ce phénomène énorme et monstrueux l’origine de toute notre politique contemporaine, j’entends la politique vivante et qui gouverne à leur insu l’esprit des électeurs des campagnes, au fond des cabarets de village. Alors, il cherche à démêler quels sont les éléments de cette tradition, de quoi elle est faite, comment s’est constituée cette psychologie qui domine encore à distance la vie de notre temps. Il va demander au passé le secret du présent.

Quatre grands livres, jusqu’à ce jour, sont consacrés à cette enquête. Dans Fouché, l’historien étudie un personnage qui lui parait le type du politicien moderne. La vie du conventionnel régicide, devenu le ministre de Napoléon et de Louis XVIII, indispensable sous tous les régimes et poursuivant à travers tant de circonstances différentes la même politique modérée, l’idée de sauver les « conquêtes » de la Révolution, se servant de Napoléon pour les consolider, les défendant contre l’Empire, cherchant à les concilier ensuite avec la Restauration, pose un cas typique d’un problème qui se représentera bien souvent de nos jours : c’est le parti qui, ayant conquis le pouvoir, voudra s’y maintenir, c’est le révolutionnaire satisfait et devenu conservateur. La vie de Fouché offre à cet égard des exemples d’adaptation qui sont un prodige d’équilibre. L’homme du 21 janvier et des massacres de Lyon, devenu le favori du faubourg Saint-Germain, en même temps qu’il achève d’écraser la Vendée, n’a jamais, à travers toutes ces apparences contradictoires, qu’une idée fixe, qui est de réconcilier la France avec un état de fait, d’empêcher toute réaction, de défendre sa situation et d’arriver enfin à la stabilité. C’est pourquoi il est sans cesse obligé de ruser, de composer avec les faits, de prendre ces attitudes qui, au milieu de ses avatars successifs,