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Je sais qu’il y a, sur le principe même d’écrire l’histoire des faits contemporains, plus d’une objection que M. Madelin s’est faite à lui-même. L’historien n’est pas exempt de doutes sur son « œuvre de guerre. » Si loin qu’on pousse la gravité et l’indépendance, on n’a pas avec les vivants la même liberté qu’avec les morts. Plus d’un secret demeure obscur, beaucoup de documents et de témoignages échappent. De ces faits si complexes nous ne connaissons partiellement qu’un côté, qui est le nôtre; à peine pouvons-nous aujourd’hui entrevoir ce qui s’est passé chez l’ennemi. M. Madelin a trop le goût de la science pour avoir beaucoup celui de l’actualité. Je gage qu’il lui tarde de revenir à ses études sur le Consulat et l’Empire. Il y est plus à l’aise. Le passé lui offre cette satisfaction d’arriver, dans la mesure où l’ambition en est permise aux facultés humaines, à quelque chose de définitif.

Il y a du moins un préjugé que ces études contemporaines lui ont permis de dissiper. Depuis la charmante équipée de Fabrice del Dongo, qui se promena en amateur sur le champ de bataille de Waterloo, n’y comprit rien et en conclut que la guerre est une collection de hasards incompréhensibles, c’est une vérité pour les gens de lettres que les plans de campagne n’existent que pour flatter l’importance des états-majors, que les ordres ne comptent pas, et que dans une armée le personnage le plus inutile est le chef qui la commande. De Tolstoï à Zola et à nos derniers romanciers défaitistes, nous avons cent variantes de ce cliché littéraire. Louis Madelin n’est pas de cet avis. Il pense que Napoléon a gagné lui-même ses batailles. Il estime que ses maréchaux n’étaient pas tous des incapables. Mais enfin, quand il a reconstitué de son mieux la manœuvre d’Essling ou celle d’Auerstaedt, quand il a refait sur le papier le mouvement de Davoust, il reste toujours cette question : « Est-ce bien cela ? Ma bataille se tient, mais qu’en dirait Davoust ? »

C’est là-dessus qu’il est précieux, pour un écrivain, d’avoir la témoignage des grands acteurs du drame. Quand Jotîre se reconnaît dans la Marne de Madelin, lorsque Foch, ayant lu la Bataille de France, s’écrie : « Mais parbleu ! Vous étiez donc sous la table ? Des choses que je n’ai dites à personne, vous les devinez! » — l’historien a de quoi se tenir pour rassuré. Un comparse pourra contester l’exactitude d’un détail et soutenir