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SOUVENIRS DE CAPTIVITÉ EN ALLEMAGNE.

neutre se permettait à leur propos. Ils se laissèrent suggérer un moyen qui, suivant eux, devait calmer la tempête.

Le 13 juin, le général me faisait appeler et après un exorde flatteur et aussi insinuant qu’il lui fut possible, m’annonça que le ministère de la guerre me proposait de choisir ma résidence dans une ville universitaire du Centre ou de l’Est de l’Allemagne. A sa vive stupeur, je refusai sur-le-champ. Il fallut lui expliquer durant plus d’une heure que je préférais demeurer au camp, au milieu de mes compatriotes et de leurs alliés, plutôt que de me trouver isolé parmi nos ennemis ; que depuis trois mois je m’étais habitué au régime de Holzminden ; que mes leçons et mes fonctions au bureau de bienfaisance suffisaient à y occuper mon temps ; que j’y avais contracté des amitiés ; que je m’y croyais utile et que tout cela compensait, et au delà, l’avantage de coucher dans un lit sans puces, de me promener librement par les rues d’une ville hostile, d’assister à des concerts, de passer ma soirée au cinéma et même de pouvoir travailler dans une bibliothèque. Mon interlocuteur finit par croire que je voulais « crâner » devant lui. Il m’ordonna de lui remettre le soir ma réponse par écrit et m’autorisa en outre à écrire à Fredericq à qui, me dit-il, la même proposition était faite en même temps qu’à moi. Il comptait évidemment qu’après avoir réfléchi sous le toit de ma baraque j’apprécierais mieux les délices qu’il m’était possible de goûter, et dont Fredericq ne serait certainement pas assez fou pour se priver.

« Le caractère belge est une énigme, » avait dit von Bissing. Le général eut l’occasion de reconnaître l’exactitude de cette pensée. Ma lettre à Fredericq en croisa une autre qu’il m’écrivait. Lui aussi, il avait repoussé les avances du ministère de la guerre. Il suggérait seulement, si l’on voulait vraiment adoucir notre sort, de me permettre de venir le rejoindre au camp de Gütersloh. Mais qu’importaient nos désirs ? Ce n’était pas à nous que l’on s’intéressait, on voulait tout simplement calmer l’agitation fâcheuse de la presse. Elle trouvait scandaleux que nous fussions parqués dans des camps. Il fallait donc, fût-ce contre notre gré, nous en faire sortir. J’eus bientôt une nouvelle entrevue avec le général. Cette fois, ce fut pour apprendre que j’allais habiter Iéna. Il ne s’agissait plus d’une proposition, mais d’un ordre, qui serait au besoin exécuté par