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la force. Je rédigeai une protestation : on refusa de la recevoir. Il ne me restait qu’à obéir.

Je quittai Holzminden avec un chagrin que comprendront, j’en suis sûr, beaucoup de ceux qui y ont été prisonniers, du moins à cette époque. Pour la première fois de ma vie, je m’étais senti vraiment utile, parce que, pour la première fois aussi, je m’étais trouvé en contact avec le fond même de l’existence. Pour tous les hommes qui étaient là, enlevés à leur profession, à leurs habitudes, à leur classe sociale, la grande, l’unique affaire était de vivre, et l’on jouissait délicieusement du moindre effort pour rendre cette vie plus facile ou moins pénible. Il se rencontrait évidemment dans le camp des types assez repoussants d’égoïsme, d’indélicatesse, d’étroitesse ou de sécheresse de cœur. Mais ce qui dominait chez la plupart, c’était un sentiment de solidarité qui s’élevait parfois jusqu’au dévoûment le plus touchant. Dans son ensemble, l’impression que j’ai conservée de mon séjour là-bas, est réconfortante et consolante. Le bon l’emportait très certainement sur le mauvais. Et si l’on songe au régime déprimant auquel était soumise cette foule parmi laquelle se trouvaient naturellement bien des éléments suspects, une constatation si banale ne laisse pas d’avoir quelque signification.


H. Pirenne.

(À suivre.)