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costumée en démocratie pour les besoins de l’heure ? Y a-t-il une Allemagne nouvelle assez consciente des responsabilités de l’Empire dans la guerre, assez désireuse de se réformer pour prendre l’initiative d’une démonstration devenue nécessaire ? Entre les partis anciens et les partis nouveaux, la lutte est depuis longtemps ouverte. Mais la discussion sur la livraison des coupables est de nature à précipiter la crise. Si le gouvernement Ebert succombe, sera-ce pour céder la place à un gouvernement de droite qui résistera aux Alliés ? sera-ce pour transmettre le pouvoir à un gouvernement qui essaiera de donner sa forme à l’Allemagne de l’avenir ?

Nous connaissons l’état d’esprit de l’ancien parti allemand, nous connaissons l’état d’esprit des milieux intellectuels. Nous ne savons pas quelle est l’opinion de la grande industrie et des classes moyennes, et c’est d’elles que dépend la direction que suivra l’Allemagne. La Gazette de Francfort, qui soutient la nécessité d’une évolution républicaine, écrivait récemment que l’avenir allemand sera ce que le feront les milieux bourgeois. Les anciens groupements conservateurs donnent l’assaut à la démocratie, ajoutait-elle, et ils sont bien plus dangereux que les extrémistes de gauche : car ils promettent l’ordre pour séduire le public, et en réalité ils préparent la ruine, parce qu’ils ne reviendront pas au pouvoir sans que l’Allemagne passe par une guerre civile qui la jettera à bas. Il y a dans toute l’étendue de l’ancien Empire une impression d’instabilité. Tous les groupements sentent que la situation intérieure de l’Allemagne ne se maintiendra pas longtemps telle qu’elle est, et que de nouvelles secousses sont inévitables. C’est en prévision de cet avenir que les deux grands partis qui s’opposent essaient de jeter la suspicion l’un sur l’autre. Si Hellferich a fait contre Erzberger une campagne de diffamation telle qu’Erzberger a intenté un procès, est-ce seulement pour la satisfaction de diminuer la personne du ministre ? C’est pour déconsidérer l’homme qui a osé attaquer l’ancien régime. Hellferich s’est appliqué à démontrer qu’Erzberger n’est qu’un faiseur d’affaires, un politicien corrompu, parce que la discussion ainsi comprise passionnait le public, et il n’a fallu rien de moins que le coup de revolver qui atteint Erzberger pour arrêter l’effet des révélations faites devant le tribunal. Au delà d’Erzberger, c’est sa politique qu’il s’agit de frapper. Erzberger est l’homme qui a osé dire que la défaite de l’Allemagne était l’œuvre des militaires, dont les conservateurs sont les répondants ; il a osé rappeler que l’armistice avait été demandé par Hindenburg et Ludendorff et non par le gouvernement.