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dont il tenait ses pouvoirs. Il a mérité un aussi grand destin. Tout le monde en France et hors de France s’est plu à reconnaître son tact, son autorité, son activité, la force de sa pensée. Son prestige a été sans cesse en grandissant. Au moment où il quitte la magistrature suprême, le respect de tous l’environne, et le peuple, qui devine parfois ce qu’il ne sait pas, sent que M. Poincaré a été dans des circonstances très difficiles un grand serviteur de son pays. Le jour où l’histoire révélera tout ce qu’a été et tout ce qu’a fait le Président de la République pendant sept années, nous sommes assurés qu’aux sentiments qu’il inspire aujourd’hui s’ajoutera dans toute la nation un sentiment très ému de reconnaissance.

De tous les souvenirs que doivent évoquer les sept années qui viennent de s’écouler, dans la mémoire de M. Raymond Poincaré, il n’en est peut-être pas de plus frappant que ce jour de l’été de 1914 où il revenait de son voyage en Russie et où il regagnait en hâte l’Elysée. Tout le peuple de Paris était sur le passage du Président. Un peu plus d’un an auparavant, M. Poincaré, élu par le Congrès de Versailles, avait été acclamé avec un enthousiasme plein de joie. Ce jour de 1914, le peuple était venu sur son passage saluer l’homme qui représentait cette France vouée à une guerre qu’elle n’avait pas voulue, et il témoignait spontanément qu’il comptait sur la sagesse et le patriotisme de celui qui était son représentant et son chef. M. Raymond Poincaré s’est montré pendant sept ans digne de cet acte de foi par la noble idée qu’il a eue de son rôle et par l’effort personnel qu’il a accompli. Le Président de la République, dans notre Constitution, a des pouvoirs définis, et il a ce pouvoir indéfini que peut donner dans une fonction suprême la supériorité. M. Raymond Poincaré a exercé les premiers avec le seul souci du bien public, choisissant les ministres, présidant leur conseil, faisant appeler M. Clemenceau quand il a jugé l’heure venue ; il a exercé le second par le rayonnement de son intelligence.

En attendant le moment où nous connaîtrons entièrement le travail accompli par lui pendant son septennat, il n’est possible que de fixer quelques traits. Au lendemain de la déclaration de guerre, M. Raymond Poincaré, comme tout le pays, a fait confiance au commandement. Vingt-cinq jours plus tard, quand est venue la nouvelle de Charleroi, il a jugé quelle était la réalité de la situation ; il a compris et il a agi. Dans le désarroi de ce premier moment, il a discerné les mesures qui s’imposaient pour rassurer la nation : il remanie le Cabinet ; il rappelle M. Millerand au Ministère de la